Évals CP : les infox du ministère
Mis à jour le 13.05.19
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« Faire mentir les chiffres, en pédagogie aussi. » Dans un texte très documenté, Roland Goigoux, spécialiste reconnu de l’enseignement de la lecture, détaille les impasses des évaluations CP et leurs conséquences néfastes sur l’organisation même des enseignements. Il revient également sur les « bobards » de la communication ministérielle.
« Ne prendrait-on pas les professeurs des écoles, peut-être aussi les journalistes, pour des crétins ? » Roland Goigoux, dans un texte sur les évaluations CP dont il a donné la primeur au SNUipp-FSU, met les pieds dans le plat. Ou pour mieux dire, dans la cuisine de la rue de Grenelle où a été élaboré ce dispositif par les équipes de Jean-Michel Blanquer.
De quoi s’agit-il ? D’abord, d’une mise en cause de la communication ministérielle sur les résultats des évaluations. Le chercheur consacre ensuite un long développement à l’analyse de ces mêmes résultats, aux projets de remédiation qui leurs sont associés et à la façon dont seraient désormais adossés les enseignements à ces évaluations.
Il revient enfin sur quelques « petits arrangements avec la réalité » de la doxa ministérielle, sur son caporalisme et ses conséquences prévisibles pour la classe.
Les premiers résultats sont là...
« Si, en début de CP, 23% des élèves n’identifiaient que la moitié des lettres et des sons qui leur étaient soumis, ils ne sont plus que 3,3% au mois de janvier. », indiquait la Depp, le service des statistiques de la rue de Grenelle, lors de la publication fin avril des résultats des évaluations. Le premier chiffre de cet exemple, mis en avant par le ministre dans sa communication est exact, reconnait Roland Goigoux. Sauf qu’il est corrélé à un test très complexe, qui évalue une compétence n’apparaissant pas dans le programme de la maternelle. Le deuxième chiffre est lui aussi exact, d'ailleurs. Mais le chercheur s'empresse, à juste titre, d'ajouter qu’il est assez normal qu’entre septembre et janvier... les élèves aient appris des choses.
La réponse à l’intervention
C’est la partie la plus dense du document. Roland Goigoux y explique le sens d'un dispositif d’évaluation qui n’est en réalité que la première partie d’un dispositif plus vaste : « La réponse à l’intervention » (RAI). Une conception des enseignements d'inspiration anglo-saxonne, dont l’objectif est « d’intervenir le plus tôt possible pour prévenir les difficultés d’apprentissage sans attendre que l’échec s’installe et sans se soucier, dans un premier temps, des causes de ces difficultés. » Un dispositif où « Le choix des tests joue un rôle primordial dans l’élaboration des tâches de remédiation et, plus largement, des tâches d’enseignement ».
Or, il détaille la façon dont ont été construits ces tests, leur inadaptation à un contexte scolaire ordinaire et les libertés méthodologiques qui ont été prises au service de la démonstration.
Alors bien sûr, intervenir avant que l’échec ne s’installe, l’intention est louable, reconnait le chercheur. Pourtant, plusieurs conditions doivent être réunies pour que cela fonctionne et à l’évidence, elles ne sont pas réunies en l’espèce. Il en fait la liste. Par ailleurs, la démarche reste contestée par toute une partie de la recherche internationale. Et enfin il avertit que le risque est grand de ne plus enseigner que ce qui est évaluable, en laissant de côté des pans entiers des savoirs. Des savoirs qui pourtant donnent du sens à tous les apprentissages, y compris au "lire, écrire, compter"...
De petits arrangements avec la réalité
Cette forme de traitement des difficultés scolaires charrie avec elle des modalités d’action pédagogique spécifiques. « Elles peuvent présenter un intérêt lorsqu’elles sont utilisées à bon escient », admet Roland Goigoux… Pour peu qu’elles ne restent qu’une technique possible parmi d’autres.
Or, à la lecture de la circulaire de rentrée 2019, comme au vu des formations aujourd’hui dispensées aux cadres de l’Éducation nationale, et à celles prévues pour les enseignants, c’est une forme de pédagogie officielle qui est en train de s’installer à bas bruit. Avec une politique éducative marquée par l’autoritarisme, qui se veut rationnelle et fondée « sur la preuve », alors même que cette preuve est fort loin d’être administrée. Le chercheur en donne quelques exemples, s'agissant notamment des vertus supposées de la "syllabique intégrale".
Enfin, et comme une illustration du propos, il débusque un « énorme mensonge par omission » au sujet des résultats des CP dédoublés comparés à ceux du dispositif « Plus de maîtres que de classes. »
Au total, un texte argumenté et salutaire, qui met le doigt là où ça fait mal. Et alors que la loi "Pour une école de la confiance" arrive au Sénat, avec justement tout un volet dédié à une réforme de l'évaluation de l’Éducation nationale qui placerait celle-ci, de facto, sous la coupe de la rue de Grenelle, la question est bel et bien posée. Stop ou encore ?