Réforme des retraites : on en est où ?
Mis à jour le 02.01.20
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Après un rapport, un discours, deux projets de loi, et dernièrement le courrier du Premier ministre du 11 janvier, pas facile de s’y retrouver et de comprendre comment le gouvernement entend mettre en œuvre son système de retraite par points dit « universel ». Petit passage en revue de quelques questions qui se posent encore au sujet de la réforme.
« Le déficit du régime des retraites nécessite une réforme ». FAUX
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Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit l’équilibre du système en 2042, contre 2036 dans le rapport précédent. Ce recul n’est pas dû à une hausse des dépenses pour payer les retraites mais à une baisse des ressources. Cet assèchement du financement est en grande partie imputable aux exonérations d’une partie des cotisations patronales pour les entreprises, aux suppressions de postes de fonctionnaires ou encore au gel du point d’indice… C’est bien parce que la part des salaires a diminué sans pour autant faire augmenter la part des investissements que le régime de retraite se trouve mis en difficulté. Ce sont bien les cotisations salariales et patronales qui doivent continuer de financer le régime de retraites et c’est donc en priorité le levier à actionner. De même si les inégalités salariales entre les femmes et les hommes disparaissaient réellement, une grande partie de l’équation serait résolue.
« Ce nouveau système améliore la situation des femmes ». FAUX #
Le niveau des pensions des femmes est en moyenne de 42% inférieur à celui des hommes.
Cette différence est principalement liée à deux éléments de la vie active : des salaires plus faibles que les hommes et un déroulement de carrière ralenti par les maternités et les congés parentaux. Il est vrai que le système actuel reproduit les inégalités salariales et de carrière. Mais le système de retraite par points est un système qui reflète l’ensemble de la carrière, ce qui signifie que le montant de la pension sera déterminé en fonction des cotisations versées tout au long de la carrière. Or, les femmes sont plus touchées par les carrières interrompues, les temps partiels - souvent imposés - un déroulement de carrière ralenti et des inégalités salariales. Elles seront durement impactées par cette réforme.
Si les droits liés aux enfants permettent de compenser en partie les inégalités, ce qu’il faut, en réalité, pour améliorer la situation des femmes, c’est revaloriser leurs salaires et améliorer leurs carrières car c’est bien la hauteur du salaire qui détermine le montant de la pension.
« La valeur du point ne baissera pas ». Mais qui peut le croire ? #
Dans un système à points, il y a deux valeurs du point : la valeur d’achat, c’est-à-dire ce qu’il faut de cotisations pour acquérir un point (rapport Delevoye : 10€ = 1 point) et la valeur de service, c’est-à-dire ce que rapporte un point pour la pension (rapport Delevoye : 1 point = 0,55 € brut annuel). Ces valeurs permettent de définir un taux de rendement de 5,5% : 10€ de cotisations donnent droit à 0,55 € de pension annuelle brute. Le principe d’un système de retraite par points, dit « à cotisations définies » permet d’ajuster de façon « technique » la valeur du point en fonction des cotisations perçues et des pensions à servir, notamment lorsque l’on définit un plafond de dépenses à ne pas dépasser comme le fait le gouvernement qui veut fixer de manière inéluctable les ressources consacrées au paiement des retraites à 14% du PIB. Si la croissance n’est pas au rendez-vous, c’est en réduisant les pensions que l’on respectera cette contrainte.
Le gouvernement a inscrit dans le projet de loi que la valeur du point (entendre la valeur de service) ne baissera pas, c’est une bonne chose mais ce n’est pas suffisant pour garantir que les pensions ne baisseraient pas. En effet, si la valeur d’achat augmente plus rapidement que la valeur de service, le cumul de points serait moins important, tout comme la pension.
- Valeur d’achat= 10 € Valeur de service = 0,55€. Avec 100 euros de cotisation on acquiert 10 points qui donneront droit à 5,5€ de pension annuelle brute.
- Valeur d’achat= 12 € Valeur de service = 0,56€. Avec 100 euros de cotisation on acquiert 8,33 points qui donneront droit à 4,66€ de pension annuelle brute.
Les enseignantes et les enseignants, principales victimes de cette réforme... #
Le mode de calcul sur l’ensemble des salaires de la carrière aura pour conséquence la baisse des pensions pour l’ensemble du salariat, du public et du privé.
La fin du calcul sur la base des 6 derniers mois et le très faible taux d’indemnité (8% en moyenne contre 30% dans la Fonction publique hors fonctions enseignantes) touchera particulièrement les PE.
Ainsi pour une PE avec une carrière de 42 annuités, partant à 64 ans au 7ème échelon de la hors classe :
• Pour une carrière dans le système actuel, sa pension serait de 2433€ net/mois
• Pour une carrière dans le système à points, sa pension serait de 1643€ net/mois
« Née avant 1975, je ne serai pas concernée par la réforme » Et bien pas tout à fait… #
Pour les générations nées de 1960 à 1974, le calcul de la pension se ferait sur les modalités actuelles et notamment le maintien de la référence des 6 derniers mois pour les fonctionnaires mais avec l’introduction progressive de l’âge d’équilibre à 64 ans. La montée en charge pour les générations de 1960 à 1964 est provisoirement suspendue, dans l'attente de la conférence de financement trouve une meilleure solution pour rétablir l'équilibre du système. Pour les générations 1965 à 1974, l’âge d’équilibre serait établi à 64 ans (avec une augmentation progressive possible). Tout départ anticipé serait sanctionné soit d’un malus de 5 % par année manquante, soit de la décote du système actuel. Ce serait le calcul le plus défavorable qui s'appliquerait. Cela obligerait les salarié·es à partir plus tard même si la carrière est complète !
« Le gouvernement garantit aux PE qu’ils ne perdront pas de pension ». Ah ? Et comment ? #
Le gouvernement s’engage sur un montant équivalent de la retraite des enseignantes et des enseignants à celle des autres fonctionnaires de catégorie A dont le taux d’indemnité est bien supérieur. Ainsi, un attaché d’administration, qui est la référence du gouvernement, dispose d’un salaire net mensuel moyen de 3490 euros. Soit plus de 1000 € d’écart avec le salaire moyen des PE qui est de 2468 €. Avec ce système à points il faudrait une énorme compensation pour annuler les pertes de pensions. Ainsi 250 points d’indice (1171,5€ brut/mois) n’apporteraient que 600 euros nets supplémentaires de pension pour la porter à 2236€ net/mois, toujours en deçà des 2433€ actuels…
Clairement, le gouvernement ne sera pas en mesure de compenser réellement les pertes, s’il met en place sa réforme.
« Des indemnités pour revaloriser les enseignants et les enseignantes ». Mais pas pour tous et toutes… #
Le ministre parle « d’un nouveau contrat social entre la nation et les enseignants » et évoque une loi de programmation, concernant notamment celles et ceux nés en 1975 et après, avec des avancées significatives pour les débuts de carrière en 2021. Mais dans l’immédiat le ministère reste flou sur le « comment ? ». Une refonte générale des grilles indiciaires est écartée alors qu’elle serait pourtant la seule façon de revaloriser de manière égalitaire l’ensemble de la profession. L’octroi d’indemnités forfaitaires liées au poste ou aux missions ou encore un système de primes seraient ainsi privilégiés. On sait que ce type de rémunération, soumise pour partie à la décision hiérarchique, crée des inégalités notamment au bénéfice des hommes. A terme pour un même poste et à échelon identique on risque de ne plus avoir les mêmes rémunérations.
… et en échange de contreparties. #
Le ministre a évoqué à Nancy, juste avant les vacances, ce que pourraient être ces contreparties envisagées en échange des 10 milliards. « Redéfinition du métier enseignant et du temps de travail », sans préciser de quoi il retourne, « formation obligatoire de 5 jours sur les vacances, annualisation des services et renforcement du contrôle hiérarchique notamment en termes d’affectation et de rémunération par un système de primes ». Alors que les PE sont parmi celles et ceux qui travaillent le plus d’après toutes les études, comparativement à leurs homologues européens, on a du mal à y croire, tellement c’est gros.
« 10 milliards pour revaloriser les enseignants et les enseignantes ». Pas si terrible, en fait. #
10 milliards semble une somme énorme, un demi-milliard d’euros de plus tous les ans pendant 20 ans. Rapporté à chacun et chacune des 902 000 personnels d’enseignement cela ferait, à terme, 900 euros bruts mensuels. Mais sur une vingtaine d’années c’est moins énorme et pas du tout garanti… 10 milliards c’est aussi la hausse du budget de l’Éducation nationale qu’il faudrait acter uniquement pour compenser l’inflation sur les 15 prochaines années si cette dernière se maintient au niveau de cette année (1,3%). 10 milliards sur 15 ans donc pour maintenir le pouvoir d’achat des personnels comme le reste des dépenses pour l’éducation…
Décidément cette réforme des retraites est loin de démontrer les avantages de l’universalité qu’elle veut mettre en avant. C’est bien une amélioration du régime solidaire actuel qu’il faut mettre au travail pour permettre à tous les salarié·es de prétendre à une retraite digne. C’est aussi cela qui fait la richesse d’un pays. Les personnels des écoles seront à nouveau dans la grève et les manifestations pour l’exprimer le 9 janvier prochain ainsi que dans les jours qui suivent.