“Aucun besoin ne doit être oublié”
Mis à jour le 18.06.21
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Interview de Suzanne Déoux, docteur en médecine. A écrit "Bâtir pour la santé des enfants"
Suzanne Déoux, docteure en médecine, professeure associée à l’université d’Angers, est conceptrice du Master RISEB (Risques en santé dans l’environnement bâti). Autrice de plusieurs ouvrages dont Bâtir pour la santé des enfants (medieco éditions).
Quels sont les impacts des constructions scolaires sur la santé ?
Ils sont nombreux car la santé se définit comme un état de bien-être physique, psychique et social. Un bâtiment y contribue s’il répond aux besoins humains et, en premier lieu, aux besoins physiologiques comme respirer, se reposer, se mouvoir, éliminer... Le système respiratoire d’un enfant est en construction jusqu’à 7 ans et les composés qu’il va inhaler peuvent avoir des conséquences. Ensuite, le bâti doit satisfaire les besoins sensoriels avec des apports de lumière pour favoriser à la fois la vision et la synchronisation des rythmes biologiques, mais aussi une acoustique facilitant les apprentissages. Les besoins liés à la sensibilité générale imposent des conditions satisfaisantes de température, d’hygrométrie et une réponse adaptée à notre besoin d’espace en surface et volume. Quant aux besoins psychologiques, le bâti doit favoriser la créativité, le jeu, le lien à la nature… Enfin, les besoins sociaux nécessitent des espaces de rencontre et de convivialité adaptés à l’âge des élèves. Aucun étage de la pyramide des besoins ne doit être oublié ou sacrifié lorsque l’on pense une construction scolaire.
La crise sanitaire, un révélateur de bâtiments scolaires inadaptés ?
Quand j’ai lu les injonctions du Conseil scientifique du 24 avril 2020, j’ai pensé qu’ils n’avaient jamais visité une école. Se laver les mains, sept fois dans la journée, c’est très bien mais encore faudrait-il que les locaux le permettent. Avec un lavabo pour 20 enfants, chaque séance peut durer 15 minutes. Et quand on compare la moyenne de nos surfaces de classe avec d’autres pays, on est bon dernier. Pour respecter la distance minimale qui était recommandée de 1m de chaque côté de la table, il aurait fallu disposer de 4 m2 de surface utile par élève. Cette exigence est applicable dans plusieurs pays européens qui offrent 4,30 m2 à chaque élève, jusqu’à 7,2 m2 au Danemark mais pas en France où la surface libre par élève, déduction faite du mobilier, est actuellement de 1 m2 au lieu de 2 m2 au début des années 50. Quant au renouvellement de l’air, il serait grand temps de s’en préoccuper pour limiter la contagiosité virale, mais aussi pour gérer les épisodes caniculaires. Même dans les départements ultra-marins, les écoles construites sans prise en compte du climat incitent à la climatisation des salles, alors fermées et non ventilées.
Comment construire le bâtiment idéal ?
Des espaces sont rarement pensés pour un besoin essentiel : les toilettes. Il est important de les répartir dans l’ensemble du bâtiment. Une conception par petits îlots de vie permet d’anticiper les questions d’usage comme la gestion des vêtements, des temps d’hygiène. Il faut des espaces à taille humaine, évitant les longs couloirs anxiogènes pour les élèves, notamment les plus jeunes. La lumière naturelle doit être présente partout, avec des hauteurs de vitrage importantes tout en prenant en compte la gestion de la température. Les architectes savent gérer ces contradictions et apporter une intelligence globale au bâtiment. Il faut veiller à l’esthétique des projets, sans sacrifier leur fonctionnalité. Un projet mal ficelé entraînera le recours à des prothèses qui engendrent des surcoûts.
Et pour la cour de récréation ?
On ne fait pas une maternelle comme une école élémentaire, ni comme un collège. Il faut tenir compte de l’occupant. On ne doit pas faire une caserne et des cours qui ressemblent à des promenades de maison d’arrêt. Il ne faut pas oublier que le jeu et les activités récréatives font partie, selon l’ONU, des droits de l’enfant. Les espaces extérieurs doivent donc être adaptés à ce besoin essentiel. Débitumer et végétaliser les cours pour en faire des "oasis" les rend plus agréables en période de canicule et rafraîchit le bâtiment attenant. Bien sûr, les aspects de sécurité ne doivent pas être négligés, mais les cours les plus accidentogènes ne sont pas celles dont l’espace est bien structuré. Les sols souples ne sont pas nécessaires partout. Il est essentiel de traiter l’acoustique en limitant la réverbération du son. Rappelons-nous qu’une école devient un réel espace éducatif quand les enfants et les adultes s’y sentent bien.