Dis-moi tout, marionnettiste

Mis à jour le 14.01.22

5 min de lecture

Reportage à Villejuif, où des élèves de CM1 s'initient au théâtre

DIS-MOI TOUT, MARIONNETTISTE !

Éclairés par une comédienne, les CM1 de l’école Pasteur de Villejuif (Val-de-Marne) s’initient au théâtre.

Ce mardi, c’est la première séance d’atelier-théâtre pour les trois classes de CM1 de l’école Pasteur de Villejuif (Val-de-Marne) et l’excitation est palpable. Première rencontre avec Hélène Arnault, la comédienne qui anime les ateliers, mais aussi pour beaucoup avec la pratique théâtrale et plus particulièrement le théâtre d’objets. Avant d’entrer dans la pratique, les élèves énoncent les différentes marionnettes connues : muppets, marionnettes à fil, à doigts, de castelet, d’ombre ou géantes… pour en venir à ces objets devenant personnages. À partir d’images, Hélène interroge sur ce qui peut les rattacher à un être vivant : le robinet avec ses yeux d’eau chaude et d’eau froide ou la façade d’immeuble avec son énorme bouche en baie vitrée… Ce préalable est déjà le début d’une démarche où il n’y a pas une bonne réponse mais où les interprétations s’enrichissent pour percevoir différemment. Se confronter à des imaginaires divers est déjà un apprentissage. Hélène prend ensuite le temps d’un détour pour expliciter le nom donné aux objets. Comprendre qu’ils peuvent venir d’une caractéristique physique (le grobinet), de son utilisation première
(toctoc), du son produit (spoiiing) mais aussi d’un caractère imaginé (furax) ou de mot-valise (crabuche), c’est à la fois lever des implicites et proposer des premières pistes de processus de création.

FsC 479 reportage Marionnettiste

A  nous la création !

L’impatience de passer aux travaux pratiques est manifeste. En cercle, les élèves sont amenés, après un temps de respiration et par diverses activités d’expression, à travailler l’imagination, le regard, le geste, l’articulation, la hauteur de voix. Ce travail sur la voix et le corps, cette liberté de s’exprimer sont inhabituelles et peuvent impressionner. « Accorder une légitimité au corps, s’autoriser à d’autres postures, est parfois déstabilisant, témoigne Justine Tiphagme, l’une des trois enseignantes. On sort du cadre habituel, c’est difficile pour certains enfants très scolaires et ça autorise d’autres qui n’osent pas intervenir en classe. Ça offre un espace nouveau ». Logique alors, que la séance soit ponctuée de rires qui déconcentrent un peu… mais si peu finalement.Le troisième temps sera présenté par « théthé », marionnette issue d’une théière qui prend vie dans les mains et la voix modifiée de la comédienne. Donner à voir en amont comment l’objet devient personnage permet d’établir un univers de référence. Chaque enfant choisit alors un objet pour improviser un petit tour de marionnettes. Arrosoirs, brosses, entonnoirs et tire-bouchons se mettent à éternuer, pleurer, faire non, dire chut ou réfléchir en se grattant la tête. Hélène donne quelques astuces et exercices pour construire un apprentissage d’habiletés où il s’agit de se mettre à la place de l’objet et d’induire le regard d’un public. Pour l’enseignante, « c’est à la fois du plaisir tout en étant sérieux ». Le théâtre implique des techniques mais aussi une prise de risque inhérente à l’acte d’apprentissage. Oser inventer rend acteur d’un projet d’apprentissage.

Si j'étais une passoire ...

Et voilà que c’est déjà la première représentation. Chaque enfant devient marionnettiste et crée pour son personnage une voix, un prénom et une chose qu’il aime. Instant magique où la créativité s’installe. La passoire de Khylian qui « déteste la sauce visqueuse mais adore qu’on lui brosse le dos » passe la parole au « Pablo » de Dorcas, ce tamis de plage qui « aime tant le sable chaud et déteste qu’on l’oublie dans la mer ». Et puis il y a le batteur de Maoudé qui « aime surtout fouetter ! » ou encore « Martinflex », le râteau de Byker qui, avec sa voix d’outre-tombe, « adore ramasser les feuilles mortes ». L’intérêt du théâtre d’objets est que cela permet d’instaurer une distance. « Ce ne sont pas eux qui parlent, c’est la marionnette, du coup c’est plus facile pour les plus introvertis, témoigne Justine avec beaucoup d’émotion. Je n’avais jamais entendu Enzo faire une phrase aussi longue ». Hélène partage cette satisfaction de « faire bouger les choses, de permettre à tous les enfants de trouver une place. » de cette sensibilisation est évidente « à la fois scolairement avec un travail sur la concentration, l’oral, le vocabulaire. Cela offre une ouverture culturelle et des références littéraires. C’est aussi un apport personnel, Lors des séances suivantes, les élèves poursuivront la découverte de cet art à travers la pièce « Grau ! » de Baptiste Toulemonde, en avant-première puisque le texte n’est pas encore édité. En amont, l’histoire sera lue, expliquée et chaque enfant choisira quelques phrases à mémoriser. Pas trop car l’idée est de travailler l’interprétation sans le poids de la mémorisation. Pour Justine, l’apport apprendre à s’écouter, se découvrir soi-même avec les autres. » Une aventure collective stimulante que partage Hélène : « Monter un projet ensemble, c’est un vrai esprit de troupe ! »

DOMINIQUE MÉGRIER
Comédienne, metteure en scène et autrice de "60 exercices d’entraînement au théâtre", Retz, 2005

FsC 479 Théâtre Dominique Mégrier

Quels apprentissages permet le théâtre ?  

Le théâtre, c’est la découverte de différentes formes de langage : celui des mots, du corps, de l’espace, du geste, du rythme. Prendre confiance en soi grâce à des jeux corporels où il n’existe pas une « bonne réponse ». C’est aussi une nouvelle perception de l’espace qui devient multiple : une chambre, une plage… C’est ainsi un travail d’imagination tout en favorisant la capacité à être pleinement présent. C’est un apprentissage de l’écoute de soi et des autres. Cela développe la sensibilité : accepter ses émotions, en recevoir, en donner et les gérer. Enfin, c’est bien sûr la transmission d’une culture. 

Une aventure partagée ? 

Lors d’atelier-théâtre, les élèves, l’enseignant, se voient sous un autre jour où les plus timides deviennent visibles, où on découvre de l’insoupçonné. Les enfants savent, sans en être conscients, qu’il y a une prise de risque. Pour oser, il est nécessaire d’avoir un cadre où toute perception est « entendable », sans classement. Imaginer des personnages, des lieux, des époques… c’est se transporter ensemble dans d’autres façons de voir le monde.

Quelles approches possibles ?  

Pour moi, le texte vient en dernier. Travailler d’abord la répartition dans l’espace, les émotions, le contact avec les autres grâce à des jeux. Si le théâtre implique qu’il y ait représentation, le spectacle n’est pas une obligation, on peut alléger la charge en donnant à voir des ateliers ouverts, quitte à les aménager.

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