Enseigner TOUTE l'Histoire
Mis à jour le 05.03.22
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Colonisation, esclavage, Shoah : des sujets sensibles complexes à aborder.
Aborder avec de jeunes élèves des séquences historiques telles que la colonisation, l’esclavage ou la Shoah peut s’avérer complexe pour des PE, peu formés à cet enseignement de sujets sensibles et à forts enjeux citoyens.
Depuis le milieu du 20e siècle, l’enseignement de l’histoire hexagonale, basé jusque-là sur un récit chronologique et souvent hagiographique ainsi que sur une absence de mise en perspectives, a peu à peu cédé la place à une nouvelle conception, plus globale et plus dynamique. Un changement de paradigme qui fait émerger aujourd’hui des problématiques éducatives inédites pour les PE chargés d’aborder certaines séquences historiques telles que l’esclavage, la colonisation et la Shoah. Conscient•es des enjeux de compréhension du monde que représentent ces sujets dans le cadre de la transmission des mémoires et de l’éducation à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, les enseignant•es du primaire ne dissimulent pas leur malaise au moment d’aborder ces thématiques devant leurs élèves. Ils et elles se savent insuffisamment formé•es d’un point de vue académique et didactique à cet enseignement mais aussi à la gestion de débats en classe. Les PE sont, en outre, peu accompagnés par l’institution scolaire, qui donne elle-même l’impression d’hésiter sur la manière dont doivent être traités ces chapitres sensibles de l’histoire de France. Pour preuve, les incessantes modifications – sept fois depuis 1980 – introduites dans les programmes scolaires et un certain manque de développement des prescriptions les plus récentes. D’après Marie-Albane de Suremain, maîtresse de conférences en histoire, en matière de colonisation par exemple, « il convient de ne pas dépendre de documents de propagande coloniale mais de proposer photographies ou récits colorisés, disponibles dans les manuels à démarche critique »
Se confronter sans tabou au passé
Les enseignantes et enseignants veillent à se positionner avant tout en tant que pédagogues sur ces sujets. « Un professeur ne doit pas donner ses opinions, mais des clés pour comprendre et savoir garder la mesure des choses, considère Céline Piot. De la qualité de ses réponses dépendra la crédibilité d’un système scolaire violemment remis en cause par les groupes communautaires, mais aussi les médias avides de sensationnel et de situations de crise. » Des chercheurs et chercheuses de l’éducation pointent aussi l’extrême difficulté à trouver les mots adéquats pour évoquer un crime contre l’humanité devant de jeunes enfants « Le but reste de travailler des apprentissages, il faut pouvoir dire la violence sans traumatiser (…) Il s’agit de faire connaître le passé aux élèves pour pouvoir le regarder en face et se construire comme sujet sachant et libre », indique Marie-Albane de Suremain. Une démarche qui renvoie au concept des « questions socialement vives » (QSV) apparu dans les années 1990. À ce sujet, Céline Piot souligne que « l’enseignement de l’histoire ne doit pas servir à transmettre une histoire lisse et linéaire mais une histoire qui affronte des problèmes et désigne la complexité des évolutions du passé humain. Vouloir enseigner les QSV pousse donc à interroger les contenus et les pratiques d’enseignement ».
Développer l'esprit critique des élèves
Enseignante de CM2 à l’école Macé de Halluin (Nord), Géraldine Grouwet base l’apprentissage de la réalité complexe de la Shoah sur des documents écrits et iconographiques que les élèves doivent analyser et questionner. « L’enjeu d’un travail sur la Shoah - comme sur l’esclavage d’ailleurs – explique-t-elle, est de transmettre des valeurs, de susciter l’interrogation et de développer l’esprit critique des élèves. C’est donc un travail qui croise l’enseignement de l’histoire et de l’EMC ». Même souci de former les futur•es citoyen•nes pour Émilie Tabaries, enseignante de CM1 à l’école Legendre à Paris. Travaillant sur les passés coloniaux et esclavagistes, elle incite ses élèves à s’appuyer sur des documents historiques pour comprendre le lien entre colonisation et esclavage. Un travail de recherche et d’analyse qui permet, selon elle, de « comprendre l’organisation des territoires actuels, la constitution de leur population, en particulier dans les départements et régions d’outre-mer ». Ces cours d’histoire et d’EMC ne sont pas des cours comme les autres, car il s’agit d’y aborder un rapport raisonné aux savoirs historiques sans faire fi de leurs aspects émotionnels. « La démarche historique permet d’accueillir les mémoires en leur donnant du sens dans un grand récit commun partagé par tous », affirme ainsi Marie-Albane de Suremain.
Eduquer contre le racisme
Enseigner l’histoire et ses questions vives permet de donner des clés pour éduquer contre le racisme. C’est, par exemple, rappeler la contribution indéniable des migrants et des migrantes à la diversité d’une société multiculturelle comme la France. La déconstruction de la mécanique raciste passe par une éducation à l’égalité qui considère que le concept de « race » n’est pas une donnée biologique mais une construction sociale. Dans un contexte de recul global des idées humanistes et de montée de celles d’extrême droite, cette éducation est d’autant plus urgente et nécessite une formation initiale et continue des enseignant•es élargie à d’autres domaines que les « fondamentaux ». Le SNUipp-FSU dénonce toutes les formes de discriminations et de violences sur des bases ethniques, culturelles ou religieuses.