"Eval sommative ... une menace"
Mis à jour le 13.01.22
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Interview de Fabrizio Butera, professeur de psychologie à la faculté de Lausanne
L'évaluation sommative, quand elle est clairement normative, est menaçante"
Fabrizio Butera, professeur de psychologie à la Faculté des sciences sociales et politiques de Lausanne, est l’un des directeurs de l’ouvrage « L’évaluation, une menace ? » (Ed. PUF)
Comment sont évalués les élèves dans le primaire ?
Évaluer est un acte qui apparaît naturel au sein des classes. Au moment de l’évaluation, les enseignants sont convaincus, quelle que soit la forme de l’évaluation - écrite, orale - de faire un travail de retour sur les apprentissages des élèves. Or dans la tête des élèves, il s’agit d’un jugement de leur travail qui se répercute sur leur identité personnelle. En classe, les élèves développent une réputation scolaire en lien avec leurs résultats. Ils se retrouvent soit du côté des bons élèves, soit du côté des moins bons. Ces réputations ont un impact sur la position hiérarchique dans la classe et sur la relation plus ou moins facile avec les parents, selon que les appréciations soient négatives ou positives. On a toujours l’impression que ce qui est important est le type d’évaluation utilisé, en réalité, c’est la fonction donnée à l’évaluation : une évaluation qui a pour objectif de corriger les erreurs, de stimuler la pensée ou qui sert à trier, sélectionner, créer des différences à l’intérieur de la classe.
Comment définissez-vous l'évaluation formative ?
L’évaluation sommative ou normative rend visible la performance d’un élève, la résume et permet la comparaison. Elle a aussi deux fonctions importantes : pour les élèves, elle permet d’avoir une position dans la hiérarchie de la classe, lieu de socialisation primaire et fondamental et pour les enseignants, elle permet de prendre des décisions et de communiquer avec les parents. Ce type d’évaluation est largement pratiqué dans les classes parce que justement c’est un instrument de tri à l’intérieur de la classe et de communication entre enseignants, entre élèves, avec les familles et la hiérarchie. Elle l’est d’autant plus que l’école s’inscrit dans un système éducatif sélectif. Elle s’oppose à l’évaluation formative qui se focalise sur la progression de l’élève, sur l’effort qu’il fait pour s’améliorer et où la comparaison est intra-élève. Mais ce type d’évaluation demande du temps pour mettre en place de nombreux « feedback », expliquer et dépasser les erreurs et les manques. Un travail qui est fortement découragé par les classes dont les effectifs restent chargés mais aussi par le fait que les enseignants doivent produire beaucoup d’évaluations. De plus, utiliser ce type d’évaluation nécessite pour l’enseignant de bien l’expliquer aux parents qui réclament le positionnement de leur enfant car ce qui est valorisé dans la plupart des sociétés industrialisées est la comparaison.
"L'évaluation formative est un outil extrêmement puissant d'apprentissage"
Quels effets ?
L’évaluation sommative, quand elle est clairement normative, est menaçante sur l’autonomie des élèves, un des besoins les plus importants, surtout à l’enfance. Être autonome, cela veut dire travailler pour des raisons identifiées par l’enfant comme étant importantes, intéressantes, sources de plaisir, des raisons intrinsèques. L’évaluation sommative représente une motivation extrinsèque, les élèves vont apprendre pour être évalués, faire plaisir à l’enseignant ou aux parents. Le problème est que cela ne favorise pas la persévérance dans le travail. Cela menace aussi les compétences sociales qui permettent la collaboration et la coopération en classe. Les élèves sont amenés à faire des choses peu constructives comme la rétention d’information. De fait, l’évaluation sommative inhibe le travail collectif. Enfin, cette comparaison constante des élèves augmente les inégalités sociales, les enseignants accentuant les différences entre les classes sociales favorisées et défavorisées. En exerçant un rôle de filtre, ils recréent les inégalités sociales.
Faut-il sortir du "tout évaluation" devenu norme dans notre société ?
Le problème n’est pas l’évaluation en elle-même mais l’évaluation normative qui entraîne comparaison et compétition. L’évaluation formative, quant à elle, est un outil extrêmement puissant d’apprentissage, sa mise en œuvre et sa généralisation dans les écoles nécessitent une réelle volonté politique. Il ne s’agit pas de tout réinventer mais d’appliquer ce que 50 ans de recherche ont démontré. Un changement qui n’est pas anodin puisque cela revient à remettre en avant la fonction formatrice de l’école et non plus sa fonction sélective. Un choix de politique éducative qui n’est pas dans l’air du temps où la primauté libérale fait que l’évaluation normative a le plus de succès.