Faire fonctionner l'intelligence
Mis à jour le 24.05.23
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Itv de Christophe Benzitoun, maître de conférences en linguistique française
Christophe Benzitoun, maître de conférences en linguistique française à l’université de Lorraine, membre du laboratoire Analyse et traitement informatique de la langue française (ATILF).
Le français, une langue difficile à orthographier ?
Oui, le français est une langue alphabétique l’une des plus difficiles au monde à orthographier. La somme d’incohérences et de formes hétérogènes à apprendre par cœur sollicitent beaucoup la mémoire. Une dizaine d’années est alors nécessaire pour une maîtrise correcte du français écrit alors qu’un an ou deux suffi sent pour l’espagnol, l’italien ou le finnois. La principale difficulté réside dans les homophones hétérographes, ces mots à la prononciation identique mais qui s’écrivent différemment. La morphologie du français écrit est spécifique, distincte de la langue parlée. Les pluriels des noms ne s’entendent pas alors qu’ils s’écrivent, de même les marques des verbes à la troisième personne du pluriel. C’est comme s’il fallait réapprendre une autre grammaire alors que la langue est la même.
Où en sont les élèves français ?
Depuis 1987, le niveau de l’orthographe évalué par une même dictée en contexte scolaire diminue régulièrement. Les élèves de CM2 font environ deux fois plus d’erreurs aujourd’hui. On mesure moins précisément comment le niveau pourrait être rattrapé dans la suite de la scolarité. L’évolution à long terme reste incertaine. Les meilleurs, surentrainés à la dictée, étaient meilleurs il y a un siècle mais moins nombreux. Actuellement, les élèves sont moins bons en dictée mais meilleurs en rédaction. Le niveau moyen de la population française, globalement plus élevé qu’il y a un siècle, suggère l’absence d’un âge d’or. Jamais plus de la moitié des élèves n’a décroché le certificat d’étude alors qu’ils étaient présélectionnés. Par ailleurs, la recherche montre qu’il y a une corrélation entre réussite scolaire, maîtrise de l’orthographe et milieu social d’origine. Ferry et les premiers républicains tentent d’ailleurs en vain de réduire la place de la dictée pour ne pas sélectionner socialement les élèves.
Quels enjeux actuels de la maîtrise de l'orthographe ?
Des difficultés orthographiques peuvent avoir des répercussions sur la lecture, la compréhension et l’accès aux savoirs. Le niveau d’orthographe pèse sur l’accès à l’emploi, où l’écrit est de plus en plus prégnant. Dans la vie sociale, il est utilisé comme un critère d’évaluation de l’intelligence. Alors que le système scolaire n’a pas la possibilité de l’enseigner correctement, la non maîtrise de l’orthographe est renvoyée à la responsabilité de l’individu et peut devenir un handicap social. Les débats actuels, empreints d’idéologies, semblent rendre impossible le fait de se passer de la dictée à l’école. Pourtant, dans sa forme classique, elle ne permet pas de mieux apprendre. Aucun travail scientifique n’en démontre le caractère positif. Et il n’y a pas de transfert avéré entre la dictée et la rédaction. Or, l’objectif reste de former les élèves à la production de leur propre texte, non à la transcription d’un texte d’autrui.
Des pistes d'amélioration ?
C’est très difficile car la réduction du temps scolaire et la diversification des disciplines a historiquement occasionné la perte d’un an et demi à deux ans d’enseignement du français en primaire. En termes pédagogiques, les travaux montrent qu’il y a un effet bénéfique, observable en quelques mois, des séances de réflexion collective qui font émerger les raisonnements des élèves, plus particulièrement pour les élèves les plus en difficulté. L’objectif est de faire fonctionner l’intelligence et de comprendre le fonctionnement de la langue, sans quoi on ne peut l’appliquer. Des élèves sont capables de réciter les règles, ont le savoir mais pas le savoir-faire. Il faut également sortir d’une conception de l’orthographe, source de dénigrement et de stigmatisation qui peut paralyser les réponses des élèves, par peur de l’erreur orthographique. L’autre levier d’amélioration, c’est une réforme d’ampleur de l’orthographe, pour aller vers plus de rationalité et de régularité, par exemple en généralisant le pluriel des noms en -s. Les blocages de la part de ceux qui interviennent dans le débat public sont fondés sur l’amalgame entre orthographe et langue. Or, cela n’a rien à voir. On peut changer l’orthographe sans toucher à la langue.