Les questions socialement vives

Mis à jour le 05.03.22

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Interview de Céline Piot, co-référente "Laïcité" à l'Inspe de Bordeaux

“Les questions socialement vives renvoient à leurs finalités civiques”

Dossier 480 Céline Piot

Céline Piot, maîtresse de conférences, co-référente « Laïcité » de l’INSPÉ de Bordeaux et
responsable scientifique du séminaire « Enseigner les QSV en histoire et en EMC à l’école primaire ».

Que sont les questions socialement vives ?  

Apparues dans les années 1990, les « questions socialement vives » (QSV) étaient nommées questions controversées, questions sensibles, puis questions vives. Trois dimensions permettent de les appréhender : les questions sont vives dans la société, dans les savoirs de référence et dans les savoirs scolaires. Une QSV n’est pas socialement vive par nature, elle le devient. Selon les périodes, une question peut être « chaude » - c’est encore le cas de nos jours de la Shoah, de la traite négrière et de l’esclavage… - « refroidie », la Révolution française, ou « réactivée », la laïcité, les faits religieux. 

Quels en sont les enjeux ?  

L’enseignement des QSV renvoie à leurs finalités civiques. L’école est le lieu où la transmission de savoirs est susceptible de remettre en question l’emprise des mémoires sur l’histoire. Elle est avant tout une institution de mise à distance dont l’objectif n’est autre que la formation des citoyens, membres d’une nation « éclairée » qui s’élève au-dessus des groupes partisans. Dès lors, l’enseignement de l’histoire ne doit pas servir à transmettre une histoire lisse et linéaire mais une histoire qui affronte des problèmes et désigne la complexité des évolutions du passé humain. Vouloir enseigner les QSV pousse donc à interroger les contenus et les pratiques d’enseignement.

Sont-elles enseignées ?

Plusieurs disciplines sont concernées par leur enseignement : histoire, géographie, langues, sciences de la vie et de la terre, éducation physique et sportive… Dans les programmes scolaires, les QSV sont neutralisées. Elles n’apparaissent pas sous forme de questions ; c’est donc à l’enseignant de les activer en tant que QSV. Par exemple, en géographie, la leçon sur « les migrations internationales » peut être problématisée de façon neutre : « Quelles sont les principales formes de migrations internationales ? », mais une QSV peut être activée si la problématique devient « Doit-on laisser circuler librement les migrants dans le monde ? ».Dans certains endroits, les enseignants préfèrent s’autocensurer. Des obstacles existent mais leur enseignement présente de nombreux intérêts, à commencer par celui de la problématisation. Un professeur ne doit pas donner ses opinions, mais des clés pour comprendre et savoir garder la mesure des choses. De la qualité de ses réponses dépendra la crédibilité d’un système scolaire violemment remis en cause par les groupes communautaires, mais aussi les médias avides de sensationnel et de situations de crise. Il faut respecter la parole témoignée des élèves et prendre en compte les savoirs préalables de ces derniers. Cela permettrait de mettre en place des stratégies didactiques respectueuses du droit de l’élève à penser. Il s’agit de prendre au sérieux les savoirs sociaux des élèves dans le but d’améliorer l’efficacité des apprentissages scolaires et de travailler dans une perspective de développement de la personnalité sociale des jeunes.

Comment les enseigner ? 

Cette question suppose une connaissance historique solide ainsi qu’une grande rigueur scientifique, de faire preuve de tact et de savoir mettre à bonne distance la question. En s’appuyant sur l’interdisciplinarité, plusieurs outils pédagogiques peuvent être utilisés et modalités de travail mises en œuvre : littérature de jeunesse, pédagogie du projet, débat, sortie scolaire... On peut également se tourner vers les propositions de l’éducation interculturelle. En effet, celle-ci s’érige à partir d’une pluralité de sens, de points de vue et de causalités. Une pratique interculturelle, par exemple de l’enseignement du fait colonial, passerait par une approche qui fasse de la complexité du moment colonial l’objet d’apprentissage, qui puisse contribuer à désamorcer toute crispation identitaire provoquée par certains usages publics de l’histoire.

Quelle place pour l'émotion ? 

En histoire, comme pour tout autre thème à aborder en classe, l’enseignement d’une QSV doit permettre d’aboutir aux deux finalités de l’histoire scolaire française : développer l’esprit critique et construire une identité collective. Les QSV provoquent généralement de l’émotion qui peut se manifester de différentes façons : une difficulté à contenir sa tristesse, une réaction de silence ou de repli… D’où l’importance de la sélection et de l’utilisation des documents. La précision du dispositif didactique doit permettre un juste équilibre entre émotion et compréhension afin de sensibiliser de jeunes élèves à la complexité des réalités historiques.

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