Maternelle, singulière
Mis à jour le 28.01.21
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Les préconisations du Conseil supérieur des programmes attaquent la maternelle.
Les préconisations du Conseil supérieur des programmes, sollicité par le ministre de l’Éducation nationale, attaquent les fondements de la maternelle. En bouleversant le contenu des programmes, les spécificités pédagogiques du cycle des apprentissages premiers sont remises en cause sans tenir compte des intérêts de l’enfant, ni de l’avis de la profession.
Dans une lettre de mission adressée début septembre 2020 au Conseil supérieur des programmes (CSP), le ministre de l’Éducation nationale demandait à cette instance, créée en 2013, de revoir les programmes de l’école maternelle. Prétextant l’instruction obligatoire à trois ans, l’objectif est en réalité de mettre au diapason ces programmes avec ceux de l’école élémentaire, eux-mêmes remaniés depuis le début du quinquennat. Une consigne qui, à l’évidence, n’est pas sans lien avec la mise en place des évaluations standardisées au CP-CE1, destinées à servir les orientations du ministère. Les particularités des enseignements prodigués à la maternelle, école « bienveillante mais exigeante », sont ainsi reléguées en arrière-plan tandis que ressurgit la volonté d’une « primarisation » de cette école. Une conception battant en brèche les programmes de 2015 qui avaient fait pourtant largement consensus au sein de la communauté éducative et de la profession. Justement parce qu’ils affirmaient pleinement les spécificités d’une école fournissant un terreau propice aux apprentissages.
Ne pas brûler les étapes
Pour permettre à l’enfant d’avancer dans ses apprentissages, il faut du temps. Et surtout ne pas brûler les étapes. C’est ce que s’appliquent à mettre en œuvre au quotidien les PE sur le terrain. Pour Françoise Horlaville, directrice d’école et maîtresse formatrice à Evreux (Eure), l’enseignement en maternelle repose davantage sur l’estime de soi et la gestion des émotions de l’enfant que sur le travail purement scolaire
«L’estime de soi est un levier d’apprentissage très important, un enfant qui n’a pas d’estime pour lui-même n’a pas envie d’apprendre…», affirme cette enseignante en zone prioritaire. Sans perdre de vue l’apport du travail collectif autour du projet de gestion des émotions. «Avoir ce projet commun a permis d’avoir plus de complicité pédagogique, de fédérer l’équipe, les classes se sont ouvertes», précise la directrice.
“Pour permettre justement à l’enfant d’avancer dans ses apprentissages,
il faut du temps. Et surtout ne pas brûler les étapes’’
De son côté, l’équipe enseignante de l’école maternelle Ariane Icare, dans le quartier du Polygone à Strasbourg (Bas-Rhin), privilégie l’interaction entre l’apprentissage du langage, celui de la motricité et le travail de socialisation. Un partenariat entre l’établissement scolaire situé en Rep+ et la faculté de sports de la capitale alsacienne a permis d’organiser des séances co-animées par les enseignants et des étudiants en EPS. Séances au cours desquelles les enfants vivent le vocabulaire en utilisant leur corps dans l’espace pour mieux le réinvestir dans des séances de langage. «Cela leur permet de créer des images mentales qui leur servent pour parler », témoigne Férielle Maniani, maîtresse E du Rased. Et par là-même de structurer leur pensée.
Au-delà du lire-écrire-compter
De telles expériences permettant aux PE de maternelle de construire patiemment le socle des apprentissages futurs paraissent incompatibles avec la note du CSP* de décembre dernier. En mettant l’accent sur la syntaxe, les listes de mots, les auteurs de la note priorisent une approche technique et mécanique, alors que le langage dans toutes ses dimensions doit être au cœur des enseignements pour les plus jeunes. Une nouvelle fois, le ministre agit sans consulter les professionnels pour imposer ce qui apparaît déjà comme une régression. Le choix fait par Jean-Michel Blanquer n’est en réalité que la dernière illustration des changements de cap incessants qui caractérisent l’évolution de l’école maternelle depuis sa création. Depuis les lois Ferry de 1881 jusqu’à l’instauration de l’instruction obligatoire dès 3 ans en 2019, la question de la finalité de l’enseignement préélémentaire n’a ainsi cessé de se poser .
Pour Stéphanie Barrau, directrice d’école maternelle d’application à Poitiers et secrétaire nationale communication de l’Ageem, la maternelle doit respecter la maturité physiologique des plus jeunes. « Il faut que la formation en maternelle ne se focalise pas sur le lire/ écrire/compter, car les arts, la musique contribuent pleinement à la maturation du cerveau », observe-t-elle.
Une approche que partage Pascale Garnier, sociologue et professeure en sciences de l’éducation. « Avec la loi de 2019, la maternelle devient un lieu d’instruction où tout ce qui n’est pas enseignement n’est pas légitime. C’est une conception des apprentissages où les élèves sont vus comme des petites machines à apprendre et leur capacité d’initiative est totalement niée », souligne-t-elle.
La maternelle que nous voulons !
L’ambition du SNUipp-FSU est celle d’une école première permettant la réussite de l’ensemble des élèves avec des moyens à la hauteur des besoins. Face aux « bonnes pratiques » prescrites dans les guides ministériels, le SNUipp-FSU préfère faire confiance à l’expertise et à la professionnalité enseignantes ainsi qu’aux travaux de la recherche dans tous les domaines d’apprentissage : le langage comme structuration de la pensée, une entrée plurielle dans l’écrit, la découverte du monde, les activités artistiques, physiques, le rapport aux autres… L’ambition de la démocratisation de l’école maternelle à travers des pratiques pédagogiques et didactiques adaptées, portées par une formation exigeante mais aussi en défendant la scolarisation des moins de trois ans, se combine avec celui de collaborer avec tous les partenaires de l’école. Le collectif créé en 2018 à l’occasion du « Forum de l’école maternelle par celles et ceux qui la font vivre » s’est réactivé suite à la publication de la note du CSP.
Les articles du dossier :
- Pour apprendre et grandir : L'histoire de la maternelle, parsemée d'effets de balancier sur les objectifs définis
- Donner corps au langage : Reportage à Strasbourg où le langage se nourrit du faire et des interactions sociales.
- « Sortir de l'exigence de l'évaluation » : Interview de Stéphanie Barrau, directrice d'école et formatrice
- Elargir le panel des possibles : Reportage à Evreux - bouger les pratiques de l'équipe pour que les élèves apprennent mieux
- « Une autre conception des apprentissages » : Interview de Pascale Garnier, sociologue et professeur en sciences de l'éducation