Orthographe, rien n’est dicté

Mis à jour le 24.05.23

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L'apprentissage de la langue : du temps et un enseignement actif et réflexif

La langue française est parmi les plus complexes. Son apprentissage nécessite de s’inscrire dans un temps long qui s’appuie sur des démarches d’enseignement actives et réflexives, privilégiant une analyse du fonctionnement de la langue, en lien avec la production d'écrit.

L’étude de la langue ne représente que 9 % du temps moyen consacré aux 7h22 hebdomadaires d’enseignement effectif du français au CP (Lire-écrire au CP, Ifé, 2016).  Étant donné le nombre de sous-domaines à aborder en français, le temps des leçons d’orthographe comme seul attendu scolaire est désormais révolu. Mais comment enseigner l’orthographe ? Quels leviers pédagogiques actionner pour éviter de faire de l’apprentissage de la langue écrite un facteur d’échec scolaire et un marqueur des inégalités sociales et culturelles ? Autant de questionnements auxquels les PE sont confrontés dans leurs pratiques de classe. En outre, une énième note ministérielle recommande le retour de la dictée quotidienne pour les élèves de CM1 et CM2. Cet exercice institué en 1837, censé constituer l’alpha et l’oméga de la lutte contre la baisse du niveau en orthographe n’est pourtant pas d’une grande aide pour les enseignant•es.

Si, malgré une diversification croissante des domaines d’enseignement, la maîtrise de l’orthographe et des règles de grammaire et de conjugaison reste pour les PE un objectif important, les moyens traditionnellement utilisés font débat. Dans ce contexte, c’est la dictée qui est le plus souvent incriminée par les chercheurs et chercheuses, notamment parce qu’elle sanctionne impitoyablement les erreurs, sans toujours permettre l’apprentissage. 

Prendre appui sur le tâtonnement

Or, à l’instar de ce qu’a pu observer Catherine Brissaud, linguiste et didacticienne, « on devrait se focaliser sur les élèves les moins avancés et leur donner la parole pour qu’ils expliquent leurs choix. Le statut accordé à l’erreur est important car il permet de reconnaître que l’on est face à un apprentissage complexe. L’erreur renseigne sur la compréhension du système par l’élève. Derrière elle peut aussi se cacher un progrès ». La grammairienne Eveline Charmeux fait le même constat. « L’orthographe est inséparable de l’énonciation écrite », indique-t-elle en ajoutant que « la dictée est doublement étrangère à l’énonciation », puisqu’elle est « reçue passivement d’une oralisation extérieure qui se substitue à la prononciation mentale ».

Dans les écoles, les PE explorent des pistes pour enseigner l’orthographe en suscitant la réflexion des élèves. Enseignant en CP à l’école élémentaire Vauvenargues à Paris, Léo Arreto s’appuie, par exemple, sur la comparaison de productions écrites affichées au tableau, l’une au singulier puis l’autre au pluriel. Objectif : faire entendre et voir les différences morphologiques permettant aux élèves de découvrir progressivement les règles régulières d’accord. « L’enjeu est triple, indique-t-il. Travailler des difficultés de décodage, de compréhension tout en amenant déjà un regard distancié sur la langue ».

Dix ans pour maîtriser l'orthographe

Un tel travail au long cours, s’étalant sur plusieurs années scolaires, est validé par les spécialistes de la langue française. Ainsi, pour Catherine Brissaud, « il faut au moins dix ans pour acquérir l’orthographe. Les élèves continuent à l’apprendre jusqu’à la fin du collège, voire du lycée. Parce qu’il est complexe et long, cet apprentissage nécessite un véritable travail d’équipe pour établir des progressions, s’organiser sur les cinq années, fixer des priorités pour ne pas tout aborder en même temps ». « Les élèves écrivent beaucoup, témoigne de son côté Christine Campistron, enseignante de CM1-CM2 à Arblade-le-Haut (Gers). Quand ils arrivent en CM, ils connaissent la plupart des règles orthographiques de base mais cela ne suffit pas. Il faut les appliquer, les manipuler. C’est en les utilisant au quotidien, dans des contextes différents, qu’ils les installent réellement pour arriver à des automatismes dans les productions d’écrit ».

La maîtrise de l’orthographe, et plus globalement « d’un savoir écrire », constitue également un enjeu social déterminant pour l’émancipation des futurs citoyens et citoyennes. Ainsi, selon Christophe Benzitoun, maître de conférences en linguistique française, « alors que le système scolaire n’a pas la possibilité de l’enseigner correctement, la non-maîtrise de l’orthographe est renvoyée à la responsabilité de l’individu et peut devenir un handicap social ». Parmi les pistes d’amélioration, au-delà des pratiques pédagogiques, le chercheur préconise notamment « une réforme d’ampleur de l’orthographe, pour aller vers plus de rationalité et de régularité ».

Dossier 490 Orthographe 1©MILLERAND-Naja

RÉVISIONS ET REVIREMENTS 

L’enseignement de l’orthographe n’a cessé de subir révisions et revirements au cours des vingt dernières années. En 2002, l’observation réfléchie de la langue vise à prendre la langue comme « objet de réflexion » pour aider les élèves à « repérer les règles générales » afin de mieux les mettre en œuvre. Elle disparaît dès 2008 au profit du binôme « mémorisation/ application » d’un empilement de règles. Une logique d’enregistrement de savoirs isolés corrigée en 2015 pour asseoir l’articulation avec le lire-écrire de savoirs acquis après observation et compréhension. Cette démarche intégrative a toutefois été abandonnée par le texte de 2018, jumeau de celui de 2008. Les recherches récentes sont pourtant claires. Les variations d’accords sont à appréhender par l’observation, en apprenant à raisonner sur le fonctionnement de la langue et à utiliser des outils. Le temps passé à l’étude réflexive de la langue et le couplage écriture/ morphologie ont un effet positif sur les acquisitions langagières globales dont l’orthographe, en particulier pour les élèves les plus en difficulté.

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