"Pas de lexique, sans syntaxte, sans contexte !"

Mis à jour le 06.11.19

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Yves Soulé analyse ce qu'est l'enseignement du langage oral à la maternelle

Yves Soulé

Yves Soulé, enseignant chercheur en didactique du français, Université de Montpellier-ESPÉ

Qu’est-ce qu’enseigner le langage oral à la maternelle ?

Yves Soulé : Plus qu’un domaine d’apprentissage, bien identifié dans les programmes, l’oral constitue à l’école maternelle une expérience fondamentale, celle de la langue et de son usage. Il faut certes concevoir des séances spécifiques, dans lesquelles l’enseignant et les élèves prennent conscience de l’intérêt qu’il y a à nommer les choses, à connaître des mots, à les découvrir en parlant, en écrivant. Mais attention, pas de lexique sans syntaxe, sans contexte ! Une part importante du travail doit être consacrée très tôt à ce qui environne le mot : un cadre syntaxique et sémantique particulier. D’où l’idée de ne pas se satisfaire de séances où le vocabulaire oral est un objet d’étude isolé, mais de mobiliser tous les domaines d’apprentissage, pourvoyeurs de situations langagières pertinentes. Observer un escargot donne matière à chercher des verbes précis et des constructions appropriées. « Il bouge, il glisse, il rampe sur la feuille ». A priori on ne s’occupe pas du langage, mais pourtant on produit des phrases, on découvre le fonctionnement de la langue. À l’enseignant d’être vigilant sur ce point et conscient de l’intérêt de telles séances.

Comment le programmer ?

Y.S. : Tout d’abord, en tenant au quotidien une comptabilité rigoureuse d’un nombre limité mais significatif pour les élèves, de mots ou de faits de langue, deux ou trois par séance, pour faire le point régulièrement avec eux. Je ne parle pas ici de dresser des listes, de se référer à un vocabulaire fréquentiel, mais de miser sur le vécu de la classe. L’activité est bien connue qui consiste à stocker dans une boîte des mots, des expressions lues dans un album ou qu’un élève a prononcées, puis de les retrouver une semaine après, voire plus tard, dans un contexte équivalent ou différent. Le développement des compétences langagières implique en effet un travail de mémorisation mais aussi de remémoration. Quand avons-nous vu ce mot ? Que signifie-t-il ? Qu’étions-nous en train de faire, de dire quand nous l’avons rencontré ? Ensuite en proposant des situations qui articulent des objectifs de communication, de socialisation à des objectifs linguistiques. Elles donnent à l’enseignant l’occasion d’évaluer les possibles des élèves, de traiter les inégalités qui pénalisent ceux qui, par exemple, ne connaissent pas, ne comprennent pas le mot « chaussures », voire « baskets » et parlent de Nike ou d’Adidas. Il mesure alors l’importance des conduites de définition, d’explicitation, de structuration du vocabulaire manipulé à cette occasion.

Comment l’organiser ?

Y.S. : Il faut multiplier les occasions et les dispositifs de travail collectif et individuel pour donner à chacun du temps d’écoute et de parole. La tâche, on le sait, est complexe et implique une gestion de la classe contraignante, mais j’invite les enseignants à privilégier un temps d’interaction duelle chaque jour avec au moins un élève. Cet accompagnement au plus près permet de suivre les progrès, ce sont des moments précieux d’échanges qu’il faut savoir saisir pendant l’accueil, au moment de la récréation, dans les phases de transition entre les activités. On n’oubliera pas non plus l’Atsem et tous les partenaires – parents, intervenants extérieurs – sollicités pour aider l’enseignant.

Cela reste donc un enseignement assez complexe…

Y.S. : D’autant plus qu’il engage la professionnalité de l’enseignant. « Dis-moi comment tu parles aux élèves, je te dirai comment tu leur apprends à parler ». Les recherches sur le travail verbal de la classe montrent que la parole des élèves et celle de l’enseignant sont étroitement dépendantes et que certains gestes langagiers comme les reformulations – reprendre ses propres mots ou ceux d’un élève – manifestent son degré d’expertise et devraient être davantage étudiés en formation initiale et continue. Dès qu’il entre en classe, l’enseignant parle aux élèves, les fait parler, leur apprend à parler. Tâche essentielle pour développer leur parole en tant qu’expression singulière comme en témoignent les discussions à visée philosophique où, n’ayant pas à fournir une réponse attendue, ils exercent leur pensée en même temps que se développe leur langage.

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