Pédagogie, j'écris ton nom...

Mis à jour le 25.11.19

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Les prescriptions ministérielles interrogent la liberté pédagogique. Décryptage.

L’avalanche de guides et recommandations depuis la rue de Grenelle interroge l’exercice de la liberté pédagogique. Mais que recouvre exactement cette notion ?

« La liberté pédagogique n’est pas l’anarchie pédagogique », affirmait tout de go Jean-Michel Blanquer dans une interview accordée au journal Le Parisien en avril 2018. Un slogan qui pourrait prêter à sourire tant il est éloigné du quotidien des enseignantes et des enseignants des écoles, et s’il n’était pas suivi dans le même temps d’annonces sur la publication de recommandations pour choisir entre des « manuels sur l’enseignement de la lecture qui ne se valent pas tous ». Ainsi donc un ministre de l’Éducation nationale entendait remettre en cause un des fondements de l’exercice du métier qui repose notamment sur le libre choix des outils, des méthodes et des manières d’enseigner pour conduire les apprentissages des élèves fixés par les programmes de l’école. Un libre choix qui ne relève pas d’une définition libérale, une sorte de « chacun fait ce qu’il veut », mais qui bien au contraire s’appuie sur l’expertise des praticiens et des praticiennes de terrain qui doivent « être en état de choisir, parmi les connaissances et parmi les méthodes, celles qui répondent aux besoins et aux facultés de leurs élèves », indiquait Ferdinand Buisson dans son fameux dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire paru en 1887.

Initiative et responsabilité

Les fondateurs de l’école républicaine avaient bien mesuré que l’exercice du métier nécessitait « d’accoutumer les enseignants à prendre eux même l’initiative et la responsabilité de la direction des enseignements », comme le proclamait Jules Ferry. Dans une de ses lettres aux instituteurs, il allait même plus loin : « réunissez-vous, discutez de pédagogie et du métier, prenez des initiatives, participez à la réforme, contribuez à l’élaborer ». Des recommandations bien éloignées des animations pédagogiques pilotées actuellement depuis le ministère et centrées sur des objets exclusifs ou encore des guides et bonnes recommandations éditées par la rue de Grenelle (lire ci-contre). « Imaginerait-on un ministre de la santé expliquer en huit pages comment on doit ausculter un malade, ou un ministre de l’Agriculture comment on doit faire les labours », relève avec humour Claude Lelièvre, historien de l’éducation, dans un entretien accordé à Fenêtres sur cours pour son numéro spécial Université d’automne 2019. Car si « la liberté pédagogique n’est pas inscrite dans le statut des PE, elle en constitue le cœur du métier », rappelle l’historien. « Elle s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection », indiquait la loi d’orientation pour l’avenir de l’école en 2005. Cette définition reprise dans la loi de 2013 est toujours en vigueur.

Liberté et contrôle

Pour autant, la liberté empêche-t-elle le contrôle ? « Certainement pas », répond Paul Devin, secrétaire général du SNPI, syndicat des personnels d’inspection de la FSU. Mais, ajoute-t-il, « la pratique professionnelle enseignante, essentiellement solitaire, conduit à accepter qu’elle repose en grande partie sur la confiance que l’institution fait à ses agents ». Et si, précise-t-il, « un accompagnement est nécessaire et souhaitable il ne pourrait se confondre avec une intervention injonctive. Il doit au contraire inciter les enseignants à procéder eux-mêmes aux analyses nécessaires pour identifier leurs pratiques qui s’éloigneraient de l’intérêt général et procéder aux réajustements indispensables ». Une responsabilité individuelle mais aussi collective qui doit trouver sa source dans « un travail collectif » affirme Nicole Grataloup du GFEN*. Car il faut, complète-t-elle, « prendre conscience de toutes les dimensions du métier, de la façon dont elles peuvent entrer en conflit, de la façon dont chacun les vit, pour pouvoir conquérir ainsi son libre exercice ».
* Groupe français d’éducation nouvelle, dans le numéro 173 de la revue Dialogue.

Philippe Meirieu

Philippe Meirieu est professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lyon 2. Son ouvrage « Lettre à un jeune professeur » vient d’être réactualisé (2019, ESF).

Est-il possible d’enseigner sans liberté pédagogique ?

Oui, bien sûr ! La plupart des systèmes totalitaires refusent toute liberté pédagogique : ils imposent à leurs enseignants d’être de simples exécutants. Nous en avons de nombreux exemples dans l’histoire du XXe siècle. Et c’est encore vrai aujourd’hui, que ce soit dans des régimes libéraux qui imposent de préparer de manière stakhanoviste les tests PISA ou dans des régimes autoritaires qui confondent « éducation » et « endoctrinement »… Mais, dans une démocratie qui doit apprendre aux élèves à « penser par eux-mêmes », cette confusion est inacceptable : des enseignants assujettis ne peuvent former des élèves émancipés ! La formation à la liberté suppose de concevoir la classe comme un espace-temps où le maître saisit les occasions pour mobiliser les élèves, ajuste en permanence ses propos et attitudes en fonction de réactions imprévisibles, décide de ce qui peut être le plus opérant, observe et régule ce qui se passe.

Est-elle aujourd’hui davantage menacée ?

Officiellement non ! Elle est inscrite dans nos textes fondateurs. Mais l’idéologie des « données probantes » peut l’éroder : au nom de « l’efficacité » et de la vérification expérimentale, on finit par voir dans la liberté pédagogique du maître non plus un atout mais un obstacle à l’uniformisation des pratiques qu’on voudrait imposer. Il faut interroger la notion d’« école efficace » : efficace pour qui ? Efficace pour quoi ? Si c’est « efficace pour dépersonnaliser la relation pédagogique », il faut vraiment s’inquiéter. La vieille songerie d’un enseignement par des robots évacue la dimension éthique du métier et néglige la question du désir d’apprendre. Et, en réalité, elle ne profite qu’aux élèves qui ont eu la chance de vivre de belles relations pédagogiques grâce à leur entourage familial.

Comment résister ?

En faisant de tous les enseignants des « enseignants-chercheurs » sur leur métier, en développant le travail d’équipe et les échanges de pratiques, en investissant la question de l’évaluation pour ne pas se laisser piéger par des critères standardisés purement quantitatifs. Et il faut absolument impliquer les parents dans cette réflexion pour en faire de vrais alliés d’une éducation authentiquement émancipatrice.

FOCUS    Suivre le guide

Programmes simplifiés, notes au BO, guides orange pour le CP et le CE1… depuis plus de deux ans la rue de Grenelle n’a pas chômé pour remettre au centre de la classe le fameux « lire, écrire, compter et respecter autrui ». Des savoirs fondamentaux, souvent réduits au seul déchiffrer-compter et auxquels est venu s’ajouter récemment un Vademecum de pilotage des classes dédoublées 100 % de réussite en CP et CE1. Disponible sur Éduscol depuis le 13 septembre dernier, ce document de 55 pages ne laisse que peu de marge de manœuvre aux équipes de circonscription qui devront « garantir l’appropriation et la compréhension par tous » des différents guides par un « plan d’action structuré » en prévoyant « des approfondissements successifs ». Le chapitre 1 donne le ton puisqu’il s’agit de « référer les contenus d’enseignement et les pratiques aux préconisations nationales ». Ou comment, autrement dit, ériger au rang de programme des préconisations qui masquaient donc bien leur nom. Outils, grilles, protocoles, observables, trames viennent alimenter tout au long du vademecum « la communication stratégique et la posture professionnelle de l’équipe de circonscription au service de la conduite du changement ».

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