Quand l’État prend la voie de garage

Mis à jour le 19.06.19

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Les services publics quittent les territoires ruraux, mettant en difficulté les populations fragiles.

Gare de Feuquières

On l’a longtemps appelé « le Vimeu rouge », peut-être à cause de la couleur de ses bâtiments en briquettes, plus sûrement en raison de sa longue tradition de luttes sociales. Ce territoire industriel, spécialisé dans la serrurerie et la robinetterie, ce sont trois gros bourgs et une vingtaine de villages qui ne dépassent guère quelques centaines d’habitants. Il est traversé par une ligne de chemin de fer qui venant d’Amiens, relie Abbeville au Tréport en desservant une dizaine de communes, la zone industrielle, la zone commerciale et la maison de santé.
Seulement voilà, en mai 2018, la SNCF a tout bonnement décidé de fermer la ligne. Raison invoquée : sa vétusté. Arnaud Petit, le maire de Woincourt qui a vu sa gare fermer ne décolère pas. « Forcément, pendant vingt ans on n’a fait aucun travaux. Les cheminots alertaient d’ailleurs régulièrement sur ces défauts d’entretien ! »
Quoi qu’il en soit, la ligne est vitale pour le Vimeu. Brigitte Troquet, qui vit au Tréport est une habituée de la ligne. Elle explique : « En plus des salariés, ce sont surtout les jeunes, lycéens et étudiants qui l’empruntaient pour aller en cours dans le Vimeu, à Abbeville, à Amiens ou à Lille, les parents n’ayant souvent pas les moyens de leur payer une chambre à la semaine. » Des cars de substitution ont bien été mis en place, mais outre des horaires inadaptés, les temps de trajet sont doublés.
« Et encore, quand un tracteur ne fait pas bouchon », ironise Arnaud Petit. « C’est d’autant plus rageant qu’un plan Mobilité avait été conçu, combinant liaisons douces, pistes cyclables, bornes de rechargement pour véhicules électriques, voies piétonnes et trois des gares de la ligne. »
Alors les élus, tous bords confondus, ainsi que les usagers regroupés en association de sauvegarde se sont mobilisés pour la réouverture, enchaînant manifestations et rencontres avec la direction de la SNCF et la Région.

Une géographie « revisitée »

Et s’il n’y avait que le train… Pour Bernard Davergne, président de la communauté de communes, « malgré un tissu industriel robuste, le chômage reste une constante sur le territoire avec un taux de demandeurs d’emploi qui tourne autour de 11% et une partie de la population qui vit dans la précarité. »
Or, la moitié des centres médico-sociaux qui maillaient le territoire et auxquels ces gens pouvaient s’adresser ont fermé au profit de nouvelles Maisons départementales des solidarités et de l’insertion, installées dans les grandes villes. « Mais comment s’y rendre, quand on n’a pas de voiture et qu’il n’y a plus de train ? », déplore-t-il.
Même chose pour les services des impôts où on parle aujourd’hui de « géographie revisitée ». Il s’agit en clair, d’après Valérie Roussel de la CGT Finances publiques « de passer dans la Somme de 23 trésoreries à cinq ou six à l’horizon 2022. » Dans le Vimeu, celle de Fressenneville a déjà fermé et le service de l’impôt de Friville-Escarbotin a été transféré à Abbeville en janvier. « Une difficulté supplémentaire pour les personnes les plus fragiles, pour lesquelles en tant qu’élus, nous trouvions des aménagements avec les trésoriers de proximité. », regrette Bernard Davergne.
La Poste, elle aussi, vit des jours difficiles. S’il y a rarement de fermeture sèche de bureaux, leurs horaires d’ouverture sont fortement réduits. Ils peuvent aussi être transformés en agences postales communales, dans leurs anciens locaux, ou dans les mairies, mais sans offrir tous les services et l’agent communal n’a pas accès au compte des « clients ». On ne peut pas y retirer plus de 300 euros en espèces. Par ailleurs, quand l’agent de la commune est en congés, le bureau est fermé. « Et il y a mieux : le relais poste commerçant, explique Christophe Dumont, guichetier à La Poste. Ça peut être dans une épicerie, une entreprise de pompes funèbres ou un café, s’amuse-t-il. C’est tout de même assez moyen, d’aller chercher ses allocs dans un bistro, non ? »

Bataille de la Somme

Pour Jacquy Manier, le maire de Valines, 650 habitants, le plus sérieux problème aujourd’hui c’est l’école. En RPI avec deux autres toutes petites communes, Ochancourt et Franleu, il avait déjà perdu une classe il y a deux ans. À la rentrée prochaine, à l’occasion d’un redécoupage de circonscriptions, c’est Franleu qui sort du regroupement pédagogique. Et la seule classe qui restait à Ochancourt a été sauvée in extremis d’une fermeture annoncée, pour l’instant…
Jacquy Manier a bien tenté un rapprochement avec une autre commune du secteur, mais là, ce sont les parents qui se sont opposés à ce que leurs enfants prennent le bus et le rapprochement a capoté.
L’édile fait pourtant tout ce qu’il peut pour son école, investissant dans la réfection du préau, des huisseries. Il y a un TBI depuis plusieurs années déjà. « Mais les écoles de village à classes multi-niveaux n’ont pas bonne presse. », reconnaît-il.
Alors il faut se bagarrer, comme l’année dernière, où la carte scolaire prévoyait pas moins de 63 fermetures dans le département, essentiellement en milieu rural, pour financer les dédoublements en éducation prioritaire. La mobilisation au long cours des enseignantes et enseignants avec les élus et les familles avait fini par limiter la casse. « 36 fermetures seulement, indique Haydée Leblanc, la responsable départementale du SNUipp-FSU. Et cette année, le Dasen est plus prudent, ne voulant pas revivre une nouvelle bataille de la Somme. »
La bataille risque bien de reprendre en revanche pour la réouverture de la ligne de chemin de fer. Car si la Région, la SNCF et l’État avaient trouvé un accord pour financer sa rénovation, Arnaud Petit vient d’apprendre qu’elle pourrait être repoussée à 2025. Un très mauvais signal, sachant qu’une ligne fermée plus de cinq ans ne rouvre plus.
« Alors la mobilisation va reprendre, prévient le maire, parce que la mobilité, ça ne peut pas être réservé à ceux qui ont les moyens de se déplacer, tandis que les plus modestes seraient assignés à résidence. C’est une simple question de justice ! »

En bref

Les oubliés

« Qu’il est triste le patelin avec tous ces ronds-points qui font tourner les têtes, qu’il est triste le préau sans les cris des marmots, les ballons dans les fenêtres. »
L’école de Ponthoile, commune rurale de la Somme, a fermé définitivement en juillet 2018. Le chanteur Gauvain Sers, ému par cette situation a choisi d’y tourner le clip de sa chanson Les oubliés, de donner à voir les conséquences d’une fermeture pour toute une communauté villageoise.
Pour l’artiste, « faire des chansons, c’est mettre en lumière des gens trop souvent dans l’ombre. » Il espère aussi « éveiller les consciences de ceux qui décident. »

Un appel de la FSU

« Les services publics permettent la redistribution d’une part importante de la richesse nationale, participent à l’aménagement du territoire et sont une condition essentielle du développement économique et social du pays. »
À l’occasion d’un colloque organisé le 12 juin, la FSU a redit son opposition au projet de loi dit de transformation de la Fonction publique et lancé un appel au respect du statut général des fonctionnaires, à réaliser les investissements et les recrutements nécessaires pour satisfaire les besoins et à défendre des services publics de qualité pour toutes et tous sur tout le territoire.

Lire l'appel

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