Si on changeait l'attendu?
Mis à jour le 13.01.22
min de lecture
Evaluation formative : consolider les apprentissages, dynamiser les pratiques enseignantes
Alors que les dispositifs officiels d’évaluation des élèves tendent à renforcer les inégalités scolaires, d’autres approches, telle que l’évaluation formative, permettent de consolider les apprentissages et de donner une nouvelle dynamique à la pratique professionnelle enseignante.
Instaurée depuis près d’un demi-siècle comme l’un des principes essentiels du système éducatif, l’évaluation des élèves interroge toujours aujourd’hui. Un principe d’évaluation qui a d’ailleurs gagné l’ensemble de la société, mettant en concurrence les individus entre eux ou les structures privées et publiques. Enseignant•es, sociologues, psychologues, chercheurs et chercheuses en sciences de l’éducation sont ainsi nombreux à s’interroger sur le bien-fondé de la pratique des évaluations nationales désormais imposées à tous les élèves de CP et CE1 afin de mesurer certaines compétences ciblées en mathématiques et en français. Quels sont les effets chez l’enfant de cette manière de mesurer un niveau d’apprentissage normé ? Quelle validité les enseignant•es peuvent-il accorder aux résultats ainsi obtenus ? Autant de problématiques qui bousculent aujourd’hui la pratique professionnelle des PE et mettent en exergue le « malentendu » sur lequel repose le concept d’évaluation.
Si la doctrine officielle fait de l’évaluation un moyen de comparer les acquis d’un élève par rapport à une norme établie sur la base d’un niveau médian présupposé, elle révèle surtout les écarts pour la plupart induits par les inégalités sociales et les liens entretenus par les familles avec la culture scolaire. Loin de donner aux PE « une vision précise des compétences et des difficultés de chaque élève », comme le promettent les textes ministériels, cette approche normative et standardisée de l’évaluation apparaît en réalité comme une manière de faire des enseignant•es les exécutant•es de prétendues « bonnes pratiques » dont la pertinence pour une école démocratique n’a pourtant pas été établie.
Des alternatives aux conceptions officielles
A contrario, sous certaines conditions, l’évaluation s’avère être un levier pour apprendre. Ainsi, Fabrizio Butera, professeur de psychologie à la Faculté des sciences sociales et politiques de Lausanne, estime que le problème n’est pas l’évaluation en elle-même, « mais l’évaluation normative qui entraîne comparaison et compétition ». Il préconise de s’orienter vers l’évaluation formative qui constitue « un outil extrêmement puissant d’apprentissage » et « remet en avant la fonction formatrice de l’école et non plus sa fonction sélective ». Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, docteure en sciences de l’éducation, milite, quant à elle, en faveur de l’évaluation positive, critériée, dialoguée et basée sur les progrès des élèves. « L’évaluation suppose l’examen des travaux en référence aux critères de réussite clairement identifiés et aux stratégies à employer […] C’est une mise en confiance qui se construit par une place de l’erreur non agressive. Elle prend un autre statut dépassant une simple conformité aux attendus empêchant de considérer que c’est l’enfant qui est en échec. »
"L'évaluation positive prend un autre statut dépassant une simple conformité aux attendus"
Solidarité et démarche collective
Sur le terrain, des enseignantes et enseignants ont déjà exploré cette voie avec succès. À Villeurbanne (Rhône), Vanina Citti évalue ses élèves de CM2 en privilégiant une approche collective basée sur des groupes autogérés « qui apprennent ensemble et corrigent ensemble ». « Les élèves ont compris qu’évaluer, ce n’est pas sanctionner mais le moment où on fait le bilan de ce que l’on a compris ou pas », souligne-t-elle.
L’équipe enseignante de l’école maternelle Sophie-Condorcet à Valence (Drôme) a également repensé le système d’évaluation en valorisant au quotidien les réussites des élèves et en évaluant les enfants au travers des progrès réalisés. « C’est une source intarissable d’apprentissages », affirme la directrice Isabelle Geourjon indiquant qu’un carnet de suivi a été élaboré pour rendre compte aux familles, aux élèves et aux autres enseignant•es des avancées réalisées dans la classe et tout au long du cycle 1. « Mettre l’accent sur le chemin à parcourir et parcouru s’autorise avec des tâtonnements, pas évident avec des programmes verrouillés et un temps contraint », constate Marie-Thérèse Zerbato-Poudou. Un constat partagé par Fabrizio Butera : « (…) ce type d’évaluation demande du temps pour mettre en place de nombreux « feedback », expliquer et dépasser les erreurs et les manques. Un travail qui est fortement découragé par les classes dont les effectifs restent chargés mais aussi par le fait que les enseignants doivent produire beaucoup d’évaluations. » L’enjeu est donc de renforcer les compétences professionnelles des PE en matière de conduite des évaluations formatives mais aussi de reconnaître le temps nécessaire à cette pratique.
Un modèle non réflexif
Depuis quatre ans, tous les élèves de CP et CE1 passent des évaluations nationales dans les domaines des mathématiques et du français sous prétexte de « fournir aux enseignants des repères des acquis de leurs élèves, compléter leurs constats et leur permettre d’enrichir leurs pratiques pédagogiques ». Mais pour le SNUipp-FSU, qu’il s’agisse des contenus, des finalités, des conditions de passation ou des remontées de résultats, ces tests restent inadaptés et peuvent être source d’échecs pour les élèves. Loin de servir les enseignements, ces évaluations standardisées sont utilisées pour justifier l’orientation politique du ministère et visent à façonner les pratiques en induisant un modèle d’apprentissage non réflexif et « applicationniste ». Le SNUipp- FSU continue de les dénoncer et d’en demander le retrait.