Toulouse mix(t)e les collèges
Mis à jour le 14.01.22
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Conseil départemental 31 : faire entrer la mixité sociale dans les collèges de Toulouse.
Le Conseil départemental de Haute-Garonne fait entrer la mixité sociale dans les collèges de Toulouse.
La mixité sociale dans le système éducatif, ça marche : les résultats des élèves des quartiers défavorisés s’améliorent sans que ceux des élèves des beaux quartiers n’en soient altérés. C’est du moins ce que tend à démontrer une enquête réalisée par le Conseil départemental de Haute-Garonne. Quatre ans après avoir ouvert les portes de collèges du centre-ville à des élèves des quartiers de l’éducation prioritaire (EP) de Toulouse, la collectivité a pu en mesurer les effets sur une cohorte entière d’élèves qui, en 6e à l’époque, viennent de passer leur brevet dont les résultats restent à analyser avec prudence (lire ci-contre). Les sociologues de l’éducation préconisent depuis longtemps plus de mixité. Mais comment la favoriser ? « Il n’y a pas de recette miracle mais un ensemble de leviers à activer, explique Etienne Butzbach, coordinateur du réseau Mixités sociales à l’école pour le Cnesco. D’un côté la mixité résidentielle, avec une sectorisation étroitement liée à la liaison école-collège pour minorer les phénomènes d’évitement. Et de l’autre l’offre éducative et la qualité du service public ».
Le choix de Toulouse
À Toulouse, certains collèges en Rep+, en particulier Badiou et Bellefontaine dans le quartier du Grand Mirail, concentrent à la fois beaucoup d’élèves d’origine sociale très modeste et des taux d’échec scolaire importants. Le taux de pauvreté y franchit la barre des 50% alors qu’il est de 10% dans la plupart des autres quartiers. « Badiou était devenu un collège ghetto dans lequel il était difficile de travailler car il n’y avait plus aucune mixité depuis l’assouplissement de la carte scolaire sous Sarkozy », déplore Carole Fava d’Alber, directrice de l’école Françoise Héritier au Mirail. Après une concertation avec l’ensemble des partenaires, le Département a choisi d’engager un programme de 56 millions d’euros, en deux phases à partir de la rentrée 2017 : la fermeture définitive des deux collèges du Mirail (l’un en 2019 et l’autre en 2021) et la construction pour la rentrée 2022 de deux nouveaux collèges en périphérie du quartier.
Des moyens logistiques importants
En attendant la livraison des établissements, depuis septembre 2017, les élèves de CM2 du secteur de collège Badiou sont réaffectés en 6e dans 5 collèges favorisés de la métropole et depuis septembre 2019, il en va de même pour ceux du secteur Bellefontaine qui rejoignent 6 autres établissements. Depuis 4 ans pour 1 140 élèves, des navettes pour un transport quotidien et gratuit, des accompagnant•es dans les bus et des actions de médiation dans les collèges assurées par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) ont fait émerger des conditions de scolarité bien meilleures et une carte scolaire qui, malgré des inquiétudes et une réticence au départ de certains parents, est largement respectée. Seul le privé ne joue pas le jeu : malgré la mise en place en janvier 2019 par le Conseil départemental d’une modulation de la part éducative de la dotation de tous les collèges visant à favoriser la mixité, le pourcentage d’élèves défavorisés dans les établissements privés a baissé d’un point (de 8% en 2017 à 7% en 2020).
Et la pédagogie ?
L’Éducation nationale participe à l’effort : limitation des effectifs à 25 élèves dans chaque classe de 6e, six maîtres mixité sociale (MMS) assurant la liaison école-collège, deux professeurs référents dans les collèges. « C’est une chance pour tous les élèves, entend-on en salle des professeurs au collège Michelet de Toulouse. Pour les moyens, c’est plutôt positif. On a de grosses difficultés avec les enfants allophones. C’est un appel d’air pour les filles qui misent plus sur l’école ». « Avec l’arrivée des élèves issus de la mixité et ceux de l’ULIS, à 30 par classe après la 6e, c’est compliqué de gérer l’hétérogénéité, explique Cécile Esquerré, enseignante en histoire-géographie-EMC. Ces changements ont réinterrogé nos pratiques pédagogiques ». « La gestion de classes très hétérogènes et des élèves à besoins particuliers plus nombreux demanderaient plus de formation », affirme Bernard Vigouroux, principal du collège. Pour Emeline Lavigne, PE-MMS, « la mixité ne se décrète pas. Son efficacité repose aussi sur la concertation entre enseignants dont les cultures sont différentes dans les premiers et second degrés… mais il n’y a pas de temps qui y soit dédié ». « Dans le primaire, notre objectif a toujours été les attendus de fin de niveau, explique Carole, directrice de l’école Héritier. Cependant, un tiers seulement de nos élèves ont une scolarité « ordinaire » et il faudrait plus de moyens ».
« Les moyens alloués par notre administration départementale ne reposent que sur le redéploiement des moyens départementaux. La FSU demande le maintien des effectifs à 25 sur les classes de 5e, la mise en place d’une formation commune des enseignants et enseignantes des 1er et 2nd degrés, la création de postes de MMS supplémentaires », explique Alexia Seguin, du SNUipp-FSU31, pour qui l’EN doit réinvestir l’ensemble de la dotation des établissements fermés. « Après la 6e, les nouveaux collèges ne seront pas traités différemment, prévient Mathieu Sieye, IA-DASEN de Haute-Garonne. Ils ne seront plus en éducation prioritaire, leur IPS* sera au-dessus de la moyenne nationale ».
La vie en rose ?
« À la rentrée prochaine, nous allons pérenniser les dispositifs mis en place avec une nouvelle sectorisation, explique Vincent Gibert, vice-président du Conseil départemental, en charge de l’éducation. Elle concernera une dizaine d’établissements. La création des nouveaux établissements à proximité du Mirail devrait apporter de l’attractivité et de la mixité ». Toulouse Métropole attend la nouvelle sectorisation qui aura un impact sur le foncier et la mobilité des jeunes et des adolescent•es. « Nous sommes attachés à la mixité dans le logement, au maintien des services publics dans le quartier », complète David Coirier, responsable de Domaine en politique de la ville pour Toulouse Métropole. « L’expérimentation toulousaine est une des solutions, pas forcément transférable, qui a permis de corriger des aberrations de localisation de collèges dans les années 60, explique le sociologue Choukri Ben Ayed. Quand l’EN s’est emparée de la question de la mixité en 2013, certains départements ont fait des choses intéressantes qui n’ont pas été formalisées de façon systémique. La difficulté est de tenir sur le long terme ». Autre point en suspens souligné par Mathieu Sieye : « un programme de mixité sociale est une alternative à l’éducation prioritaire ». Dans un contexte d’expérimentation des contrats locaux d’accompagnement et de redéfinition de la carte de l’EP, la plus grande vigilance s’impose.
*IPS : indice de position sociale construit à partir des professions et catégories socio-professionnelles des parents.
DES RÉSULTATS À ÉTUDIER DANS LE TEMPS
Le Conseil départemental de Haute-Garonne a largement communiqué sur les résultats des 100 premiers élèves issus du Mirail au brevet des collèges. 63% des élèves ont obtenu leur brevet là où la proportion n’était que de 50% de réussite pour les élèves scolarisés à Badiou. Pour ceux qui ont réussi l’examen, 54% ont une moyenne supérieure à 10, 21% entre 10 et 12 (11% à Badiou) et 33% ont eu plus de 12 (4,6% à Badiou). « Le bilan montre de premiers résultats encourageants mais des éléments statistiques plus précis sont attendus, notamment les conclusions d’une recherche universitaire en cours, commente Marie-Cécile Périllat de la FSU31. De plus, ces résultats devront être observés sur un temps plus long (post Bac). La FSU soutient le principe de mixité scolaire, sociale et culturelle. C’est un projet ambitieux et indispensable mais il doit se penser dans une politique plus large ». Pour la FSU31, le nécessaire accompagnement de ce projet ne saurait se faire à moyens constants au détriment des autres collèges et donc des autres élèves, notamment dans les quartiers populaires. Elle demande une dotation nationale fléchée et une nouvelle discussion sur l’ensemble de la carte scolaire.Plus largement, la concentration des familles populaires dans un même quartier empêche la mixité et ce dès l’école primaire.