“Un espace de liberté...”
Mis à jour le 09.09.21
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Interview de Julie Delalande, anthropologue
“Un espace de liberté, d’initiatives, de tests, d’apprentissages”
Julie Delalande, anthropologue, professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Caen Normandie. Autrice de « La cour de récréation pour une anthropologie de l’enfance » Rennes PUR 2001
La récréation est-elle un lieu d'apprentissages ?
Bien sûr. Des apprentissages qui se font principalement entre pairs et qui sont d’une part sociaux, et d’autre part culturels. Il s’agit d’apprendre à être ensemble, de comprendre comment on fait pour créer des relations. Si la récréation n’est pas le seul lieu où cela s’apprend, elle en reste le lieu privilégié de par sa fréquence quotidienne. L’enfant s’y construit comme être social appartenant à un groupe particulier. Sa principale motivation est de trouver sa place. En même temps, elle est l’espace d’une culture enfantine. Les enfants appartiennent à un groupe social qui a ses codes et ses références, un ensemble de savoirs et de savoir-faire qui le caractérise. On pense évidemment aux jeux qui s’apprennent et se transmettent par observation et par la pratique. L’imitation a un rôle fondamental dans cette transmission de savoirs avec une valorisation de celui qui sait. Il se crée un rapport tacite avec une autorisation à être imité et à imiter. Il y a dans le même temps une réappropriation de ces savoirs : il existe plusieurs manières de jouer à chat, selon les époques, selon les lieux, selon les groupes. Les habitudes extérieures ou la culture font évoluer les règles initiales. Lorsque les enfants grandissent, ces savoirs se nourrissent en puisant des références dans les musiques, les livres, les séries télévisées, les jeux vidéos ou les applications et réseaux sociaux et leurs influenceurs.
A-t-elle ses propres règles ?
Comme tout groupe culturel, la récréation a, en effet, ses propres coutumes, ses valeurs et ses règles. Plus précisément, celles-ci émanent des différents lieux d’éducation des enfants : école, famille ou autres activités extérieures. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas les adultes qu’ils sont absents ! C’est l’occasion pour les enfants de confronter à la réalité ce que les adultes leur inculquent, en conformité ou parfois en opposition. Les enfants prennent en charge les interactions, ils sélectionnent les règles, se les réapproprient et testent les mises en application. On n’a pas toujours envie de partager mais il reste plus agréable de jouer ensemble !
Quelles relations se tissent ?
Si la classe structure souvent les affinités et les groupes, en récréation, les apprentissages se font à partir de l’activité partagée. En fonction, de ce à quoi on aime jouer évidemment, mais aussi à partir des manières de s’accorder dans le jeu. Les leaders, par exemple, sont considérés comme des forces de proposition et sont soutenus dans ce rôle. Il existe évidemment aussi des leaders plus tyranniques, parfois fuis, parfois subis. Quand on interroge les enfants sur leurs amitiés, l’expression de la loyauté est très forte. Il y a une nécessité de pouvoir compter sur l’autre, de ne pas être trahi. La dépendance qui se crée est protectrice. Elle correspond à des liens de solidarité comme au sens de sa place dans le groupe.
C'est un lieu d'espaces à conquérir ?
L’occupation des espaces dépend évidemment de ce qu’on veut y faire, des jeux pratiqués…Des espaces vastes dans lesquels on peut courir, se défouler, et des espaces « privés », à l’abri du collectif. La vie en collectivité, toute une journée, c’est fatigant, il y a parfois besoin de calme et de pouvoir se mettre à l’abri des regards, ceux de ses pairs comme de ceux des adultes. Mais c’est aussi une répartition qui dépend des autres. Il existe un historique des espaces. C’est une conquête qui s’inscrit dans le long terme. Les anciennes générations d’élèves occupent déjà des lieux dont implicitement on ne les déloge pas.
Il faut alors éviter de trop régenter la récré ?
Les enseignants peuvent régenter la récréation à d’autres moments… discuter des règles, des envies d’aménagement, des conflits, avant ou après. Mais c’est important de laisser les enfants gérer leurs activités. On ordonne beaucoup pour eux, pour suivre ce que l’on projette sur eux. Or, la récréation est un espace de liberté, d’initiatives, de tests, d’apprentissages. Il s’agit de leur permettre d’être eux.