"Un métier d'éducateur"

Mis à jour le 23.11.22

4 min de lecture

Itv de Claude Lelièvre, agrégé de philosophie et professeur d'histoire de l'éducation

"Le métier d'enseignant est un métier d'éducateur"

Claude Lelièvre est agrégé de philosophie, professeur honoraire d’histoire de l’éducation à la faculté des sciences humaines et sociales Sorbonne, université Paris V.

FsC 486  Dossier Claude Lelièvre ©MILLERAND-NAJA

La liberté pédagogique est-elle un principe fondateur de l'école républicaine ? 

C’est un élément fondateur de l’école républicaine étant entendu que ce n’est pas sous cette expression que cela apparaît explicitement. Selon Ferdinand Buisson, « il y aurait de grands inconvénients à imposer aux maîtres leurs instruments d’enseignement et il n’y en a aucun à leur laisser indiquer librement ce qu’ils préfèrent ». Jules Ferry se range à cet avis et publie un arrêté le 16 juin 1880 indiquant qu’il est dressé chaque année et dans chaque département une liste de livres reconnus propres à une prise en charge dans les écoles primaires publiques. Ce sont les enseignants, réunis dans chaque canton, qui établissent cette liste. La circulaire du 7 octobre 1880 indique que « cet examen en commun sera un moyen efficace de développer le jugement des enseignants et de les accoutumer surtout à prendre eux-mêmes l’initiative, la responsabilité et la direction des réformes dont leur enseignement est susceptible ». Il y a là une volonté de rompre avec ce qui était en cours auparavant, sous Guizot, qui avait édité des manuels officiels de lecture, calcul, moral, histoire, etc.

Depuis 2017, la liberté pédagogique des PE a-t-elle été amputée ?  

Elle a été fortement contrariée, en particulier par la diffusion de guides pédagogiques. Ceux-ci n’avaient pas force de loi mais les recommandations et les précisions étaient d’une telle ampleur que les enseignants pouvaient penser que cela s’imposait. Certains sont signés du ministre comme si l’autorité politique pouvait détenir une vérité dans ses prescriptions. L’existence même du Conseil scientifique de l’Éducation nationale et sa composition, fortement centrée sur les neurosciences, a été une inflexion très forte. Si un certain nombre d’observations scientifiques peuvent être précieuses, elles doivent être prises avec modestie, il est sage d’en tenir compte mais elles sont incapables de fonder telle ou telle méthode pour telle ou telle discipline.

“Comme le disait Ferdinand Buisson, « seul un être libre peut former des êtres libres ».”

En quoi la liberté pédagogique est-elle constitutive du métier ? 

Le métier enseignant est un métier d’éducateur qui dépasse de loin toute procédure établie et toutes indications données une fois pour toutes et pour tout le monde. Il s’agit, non pas simplement de donner quelques instruments aux élèves mais de les élever dans l’ensemble de leur comportement et de leurs capacités de penser. Autrement dit, l’enseignant ne peut pas être un simple exécutant car il n’a pas simplement à faire exécuter des procédures par des élèves. Dans le cas contraire, ce serait réduire l’esprit des enfants à des aspects mécaniques et l’éducation à un type d’instruction d’ordre militaire. Comme le disait Ferdinand Buisson, « seul un être libre peut former des êtres libres ». Cela ne veut pas dire que les enseignants doivent exercer une profession libérale puisqu’ils doivent agir pour un bien commun, dans le cadre d’un bien commun que l’on appellera la République pour les Républicains. 

Emmanuel Macron prône l'autonomie des établissements, est-ce synonyme de plus de liberté pédagogique ?  

L’une des présentations faite de la réforme qu’Emmanuel Macron entend mettre en œuvre est une révolution copernicienne. C’est faire le pari que l’essentiel doit se passer dans et par l’intelligence collective des praticiens. Ce serait une fameuse contradiction de dire d’opérer une révolution copernicienne et, dans le même temps, remettre en cause la liberté pédagogique qui est la plus essentielle des libertés pour l’œuvre d’éducation et d’enseignement. Au contraire, celle-ci devrait prendre une importance accrue dans les échanges et les décisions collectives dans chaque établissement et à chaque niveau. Or, le Conseil scientifique de l’Éducation nationale vient de publier une note sur l’enseignement de la lecture au CP où il est fait un certain nombre d’observations accompagnées de recommandations péremptoires. Est-ce un reste du mode de fonctionnement autoritaire et vertical du ministère de Jean-Michel Blanquer ou une initiative qui en préfigure d’autres ? L’absence de réaction du ministre et du chef de l’État ne peut qu’inquiéter sur ce qui est foncièrement visé. 

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