Inclusion qualitative, une urgence

Mis à jour le 05.01.22

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L’école inclusive a pour vocation d’offrir un environnement scolaire adapté à l’enfant et ce quel que soit son handicap, son origine, ou son milieu économique et social.

Dossier
Inclusion qualitative, une urgence

Malgré l’engagement professionnel de tous les personnels, l’insuffisance de moyens, de personnels spécialisés, d’accompagnantes formées et reconnues, l’école fait de l’inclusion sans être réellement inclusive. Il y a urgence à passer du quantitatif au qualitatif.

L’école inclusive a pour vocation d’offrir un environnement scolaire adapté à l’enfant et ce quel que soit son handicap, son origine, ou son milieu économique et social. Elle regroupe toutes les solutions et les moyens possibles mis en place par le système éducatif, classe ordinaire, en ULIS ou dans une Unité d’enseignement d’un Établissement social ou médico-social, pour garantir la réussite du parcours de scolarisation de l’élève et répondre à chacun de ses besoins. Le principe de l’inclusion scolaire est acté par la loi de refondation de l’école. Pour autant, peut-on prétendre que l’école française soit réellement devenue inclusive ?L’inclusion scolaire, c’est en réalité, la plupart du temps, accueillir des élèves porteurs d’une plus ou moins grande altérité, dans une classe ordinaire sans aide extérieure, sans effectifs allégés, sans formation, sans temps institutionnels pour réfléchir et travailler collectivement à des solutions sur les difficultés rencontrées. Si la gestion de l’hétérogénéité fait partie des compétences professionnelles des PE, l’inclusion, telle qu’elle est mise en place en France - une inclusion quantitative et non qualitative - entraîne de nombreuses difficultés. C’est ce dont témoignent de manière récurrente des personnels des écoles qui parlent même de souffrance au travail. Des enseignant•es et AESH qui pourtant font de leur mieux pour inclure dans leur classe ces élèves mais qui malgré un fort investissement se retrouvent trop souvent face à un intense désarroi professionnel.

Repenser l'école

Le ministère demande d’inclure, au nom du bien, au nom des droits à l’éducation, au nom de l’efficacité pédagogique mais ne touche pas aux structures de l’école. Malgré les recrutements d’AESH, la situation se dégrade et laisse des élèves sans solution. Le SNUipp-FSU déplore une « absence flagrante de moyens » que la crise sanitaire et son impact sur les apprentissages a plus que tout mis en exergue. Afin que l’école inclusive ne soit pas vidée de son sens, il y a urgence à repenser l’école avec tous les acteurs de terrain. Réussir l’inclusion nécessite des moyens humains augmentés, la présence d’enseignant•es spécialisé•es dans l’école, du temps et des espaces pour travailler collectivement, une véritable reconnaissance des AESH, la présence de personnels avec des spécialités complémentaires à celles des enseignant•es si besoin et une formation de tous les personnels enseignants.

UDA 2021 dossier Inclusion 1©Millerand-naja

De l’intégration à l’inclusion
Eclairage

Scolariser tous les élèves, tel est l’enjeu de l’école inclusive. Qualifiée auparavant de rééducation puis d’intégration, ce n’est que très récemment qu’apparaît la notion d’inclusion dans l’histoire de l’école française. La loi de février 2005* donne droit à tous les élèves en situation de handicap d’être inscrits dans l’école de secteur. La loi de refondation de l’école de 2013 va plus loin, l’école devient inclusive et reconnaît le droit à une scolarisation dans des classes ordinaires à tous les enfants, quelles que soient leurs difficultés ou leurs handicaps.

Au début du XXe siècle, les enfants qui n’entraient pas dans la norme scolaire, appelés tantôt anormaux, arriérés ou inadaptés, étaient orientés vers l’enseignement spécialisé dans des classes de perfectionnement. En 1976, l’obligation éducative est actée et elle concerne tous les élèves même les plus éloignés de la norme scolaire. La loi d’orientation du 10 juillet 1989 réaffirme cette obligation, notamment pour les enfants en situation de handicap. Scolarisés, ces élèves étaient dans l’école mais dans des classes spécifiques à distance des autres. La loi de 2005, avancée notable avec l’apparition du concept de compensation du handicap, reste basée sur l’idée d’intégration. Accueillir tous les élèves dans les locaux de l’école, oui, mais trop souvent dans des classes adaptées. Ce n’est qu’en 2013, dans la loi de refondation que l’école devient inclusive. Et c’est là un changement de paradigme. Plus que la scolarisation des enfants en situation de handicap, la loi admet que « tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser » et veille à « l’inclusion scolaire de tous les enfants sans aucune distinction ». Élèves en situation de handicap, élèves en grande difficulté scolaire... tous ont dorénavant leur place dans une classe ordinaire. L’école a la responsabilité de les accueillir et de les accompagner au mieux dans leur scolarité et ce, en fonction de leurs difficultés. Plus qu’une loi sur le handicap, la loi de refondation permet, en théorie, à tous les enfants de fréquenter les mêmes bancs à l’école.

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“Je qualifierais plutôt l’école française d’intégrative”

Alexandre Ployé UDA 2021 ©Millerand

Alexandre Ployé est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris Est Créteil. Il est responsable du parcours de master « École inclusive » à l’Inspe de Créteil.

Les lois de 2005 et de 2013 ont-elles permis de rendre l'école inclusive ?

La loi de 2005, qui n’évoque pas directement l’inclusion scolaire, est extrêmement importante car elle permet de penser un cadre à partir duquel l’idée d’inclusion pourra se déplier. Ce cadre, c’est l’idée que la scolarisation en milieu ordinaire, dans l’école de quartier est de droit pour tous les enfants. En le posant, la France a essayé de rattraper un retard important sur la prise en considération du handicap. L’usage du mot inclusion remonte essentiellement à 2013, même s’il apparaît en 2010 lors de la transformation du “I” de CLIS en inclusion à la place d’intégration. Pour autant, il n’y a eu ni travail d’information ni de formation à destination des enseignants et enseignantes. C’est comme si le ministère avait cru au pouvoir magique des mots pour qu’à partir du changement du sens d’une lettre, l’école change dans son ensemble. L’école inclusive est donc née en catimini avant d’être décrétée officiellement en 2013. Pourtant, on ne peut pas encore parler d’école inclusive. La portée des changements reste à la marge. Je qualifierais plutôt l’école française d’intégrative car les dispositifs spécialisés persistent, voire se multiplient, contrairement à une école parfaitement inclusive. Nous sommes, certes, dans un processus, mais ce processus reste tout de même largement inachevé.

De quoi a besoin l'école pour être inclusive ? 

Elle a besoin d’être repensée structurellement. On ne peut faire l’économie d’une révolution structurelle si on ambitionne une transformation de l’école, sinon nous restons dans le slogan. Dans un premier temps, il faudrait aller vers l’intégration progressive des dispositifs médico-sociaux dans l’école ordinaire, des dispositifs spécialisés dont le médico-social qui scolarise des milliers d’élèves hors de l’école. L’école doit donc devenir suffisamment flexible pour que tous les jeunes puissent y être scolarisés à un moment ou à un autre, quitte à imaginer que les plateaux techniques du médico-social s’installent dans les murs de l’école. C’est le choix qu’a fait le Portugal, par exemple. Il s’agirait donc de redéployer les moyens spécialisés dans l’ordinaire. Dans un second temps, il faut en terminer avec la logique de la classe d’âge et fonctionner en cycle en mettant en place une vraie accessibilisation scolaire qui permette de répondre à des besoins larges dans la classe. Moins les dispositifs seront sclérosés, moins nous aurons à travailler la difficulté scolaire par l’orientation. Aujourd’hui, les dispositifs de l’école ne permettent pas à tous les enfants de réussir ; alors ceux qui échouent, on les oriente. C’est parfaitement anti-inclusif. Le troisième point, qui est fondamental, c’est la formation des enseignants et enseignantes. On ne peut prétendre que ces derniers puissent développer une culture de l’inclusion par l’injonction. Il ne suffit pas de piloter par le haut, avec des logiques d’experts qui vous disent de consulter telle circulaire ou de vous former sur une plateforme numérique. On ne peut imaginer que ces injonctions suffisent à transformer l’école. Il faut favoriser par la formation un effort d’acculturation dans les collectifs de travail. Tant que cela viendra du haut, cela ne suscitera que des attitudes contraires. Plus on sera dans une logique néolibérale d’un management descendant et un peu cassant, plus l’école inclusive suscitera des reproches.

"On ne peut faire l'économie d'une révolution structurelle si on ambitionne une transformation inclusive de l'école"

L'inclusion n'a-t-elle pas vocation de réduire ces inégalités ? 

Une école inclusive n’est pas une école pensée seulement pour les élèves en situation de handicap. Une école inclusive est une école qui casse toutes les représentations defectologiques, négatives et qui s’attaque à tous les a priori et les déterminismes sociaux. C’est une école de l’égalité. C’est une école qui se ressource sur ses finalités originelles, une école qui fait en sorte que tous les enfants réussissent, quels que soient leur naissance, leur origine, leur milieu social. Et puis, la première inégalité est de ne pas aller à l’école, fait auquel s’attaque le principe d’une égalité inclusive. Du fait de l’incapacité de l’école à s’adapter au handicap de certains, des milliers d’enfants ne sont pas scolarisés aujourd’hui.

Quels sont les véritables enjeux pour l'école de l'inclusion scolaire ? 

L’école inclusive est une école qui remet au cœur de ses pratiques l’idée du droit universel à l’éducation, à la scolarisation et à l’émancipation par l’éducation. Rien que pour cela, ça vaut le coup. Ce n’est pas un outil de management autoritaire de l’école, c’est d’abord le ferment d’une révolution pédagogique qui redonne au métier son sens premier, permettre l’émancipation démocratique des classes les plus laborieuses. Pour que cela fonctionne, les collectifs enseignants doivent s’emparer de la question.

UDA 2021 dossier Inclusion 3©Millerand-naja

Le collectif à la rescousse
Reportage

Dans l’école élémentaire Victor Duruy située en éducation prioritaire à Lille (59), sans ULIS, l’équipe enseignante a décidé de gérer collectivement la question de l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers.

« Ici, un enfant n'est pas un élève d'une classe mais un élève de l'école », affirme Céline Pierret, enseignante de CP en co-enseignement. « Chaque enfant a un profil propre, certains bénéficient de la présence d’une AESH à temps plein ou partiel et d’autres pas, précise Céline. En réunion d’équipe, nous déterminons la répartition de ces élèves de manière équilibrée dans les classes et les emplois du temps des AESH articulent les besoins des élèves, les demandes des enseignants et des AESH. Nous traitons ensemble les difficultés rencontrées afin d’apporter des solutions ». Un travail collectif en complément des équipes éducatives élargies qui se tiennent autant que de besoin avec toutes les personnes qui gravitent autour de l’élève. Parallèlement, Céline tient avec sa collègue Fanny un conseil d’élèves chaque semaine. « Cela permet d’aborder les problèmes rencontrés, détaille Céline. Souvent un élève dit perturbateur sait qu’il dérange ses camarades mais pas à quel point. Echanger permet une prise de conscience, de rechercher une solution ensemble, de passer des contrats d’engagement avec les enfants ». Elle précise que lorsqu’un élève n’est plus gérable, il est sorti de sa classe et accueilli dans une autre du même niveau. « Cela permet à tout le monde de redescendre, de souffler ». Cette organisation collective permet de diviser la charge mentale, de ne pas se sentir coupable, d’avoir un retour sur les réactions, de conforter les pratiques et les choix opérés. Un choix ici qui s’avère gagnant.