L'autorité ça se construit

Mis à jour le 18.11.20

min de lecture

L’autorité indispensable pour permettre à l’école de transmettre des savoirs et la construction de citoyennes et citoyens éclairés serait en crise. Mais de quelle autorité parle-t-on ? Celle qui contraint ou celle qui a la « capacité de faire grandir » ? Celle qui est convoquée n’est pas nécessairement celle dont ont besoin les élèves pour entrer dans les apprentissages. Autorité n’est pas autoritarisme.

Le débat sur l’autorité à l’école revient régulièrement sur le devant de la scène médiatique. Et les personnels enseignants sont accusés de ne pas réussir à endiguer, par manque d’autorité ou par laxisme, les violences qui surgissent parfois à l’école. Mais cet autoritarisme revendiqué par certains polémistes traduit la nostalgie d’un supposé âge d’or de l’école, à une époque où l’école était loin de concerner la totalité des enfants jusqu’à 16 ans. Le statut d’enseignant ne suffit plus à faire autorité. Il n’est pas plus concevable aujourd’hui d’exiger une obéissance immédiate et inconditionnelle sous la forme d’une soumission et encore moins le recours à la force.

L’AUTORITÉ SE CONSTRUIT

L’autorité que les enseignantes et enseignants essaient de construire dans leurs classes va bien au-delà de la politesse, du respect d’autrui et des valeurs de la République. Elle s’appuie d’abord sur la spécificité d’une relation entre des enfants et des enseignants consistant à transmettre une culture pour comprendre le monde dans lequel les élèves vivent. L’autorité à l’école, c’est une relation transitoire, de subordination mais aussi égalitaire, qui repose sur la confiance. Pour Eirick Prairat, professeur de sciences de l’éducation et philosophe et interviewé à l'UDA 2016, «l’autorité se caractérise par une influence directe, libératrice et temporelle, fondée sur un acte de reconnaissance». D’un côté un enseignant sûr de ses compétences, de sa capacité à agir, de son désir de se confronter aux autres. De l’autre, un enfant considéré comme une personne et reconnu comme capable. « Il s’agit au final que l’élève reconnaisse l’influence bénéfique que l’enseignant exerce sur lui et consente à obéir, non qu’il se soumette. L’enjeu final est de maintenir le lien à l’élève pour qu’il s’engage dans un processus d’autorisation et d’autonomie, ne pas rejeter, ne pas exclure », expliquait le spécialiste en sciences de l’éducation Bruno Robbes, à l'UDA 2015. 

MAIS COMMENT FAIRE?

Exercer une autorité n’a rien de naturel. C’est un geste professionnel et une relation qui se construisent. Les débutants qui cherchent désespérément dans leur formation des réponses au « comment faire pour gérer ma classe ? » l’ont bien compris. Mais aussi les anciens lassés de « faire le gendarme ». C'est dans certains travaux de la recherche en sciences de l'éducation, ou
du côté des pédagogies coopératives, parce qu’elles « offrent aux jeunes des formes d’engagement qui leur permettent d’adhérer sans s’aliéner » selon Philippe Meirieu, que les enseignantes et enseignants trouveront quelques solutions dans la mise en place de situations pédagogiques riches. L’autorité se construit aussi dans le cadre collectif de l’école, l’acceptation par toutes et tous de règles de fonctionnement et de vie co-écrites avec les élèves, un cadre explicite, une écoute et un respect mutuels mais aussi la recherche de l’autonomie des élèves. Pour Bruno Robbes, « l’exercice de l’autorité doit également s’accompagner d’une approche sensible du métier d’enseignant qui interroge son propre rapport à l’autorité et détermine la façon dont on rentre dans le métier ».

Brizemur autorité


Un savoir-faire qui s'apprend

Comment asseoir son autorité et gérer les incidents ? Quel fonctionnement trouver pour ne pas « faire la police » mais bien la classe ? Chaque année, l’enquête du SNUipp-FSU auprès des professeurs stagiaires redit l’insatisfaction des jeunes quant à leur formation en Espé. 65,5% d’entre eux déploraient en 2019 le manque de contenus en matière de « pratique pédagogique et de gestion de classe ».
40,4% disaient se sentir en difficulté pour gérer le groupe. La crainte d’être débordé est là et en même temps elle est souvent tue. C’est pourtant dans le collectif que réside une part des solutions avec l’élaboration de règles d’école et d’outils aidant chacun à travailler sereinement. 


Paroles de chercheurs

Bruno Robbes autorité

POURQUOI L’AUTORITÉ À L’ÉCOLE EST-ELLE CONTESTÉE ?

Ce sont certaines façons d’exercer l’autorité qui sont contestées. Pour Bruno Robbes, professeur des universités à l’université de
Cergy-Pontoise/ INSPÉ de l’académie de Versailles et membre du laboratoire EMA (École, mutations, apprentissages), les gens n’acceptent plus d’obéir sans comprendre, sans un minimum d’explications et toutes les modalités où l’on est dans le registre de l soumission sont vouées à l’échec. Ils ont du mal aussi à accepter que quelqu’un d’extérieur leur mette des limites alors qu’elles sont indispensables, chacun pensant être dans son bon droit. Dans la cour de récréation, on interdit la violence, on dit aux élèves de ne pas se faire justice eux-mêmes, d’en parler à un adulte… mais on sait que certains parents disent aux enfants de rendre les coups si on les frappe. Les valeurs familiales peuvent ainsi contredire la loi sociale de l’école. Et puis l’autorité de l’école est contestée par les valeurs de la société qui privilégient la satisfaction du plaisir immédiat. C’est une lame de fond insidieuse qui mine en profondeur les assises de l’école car l’entrée dans les apprentissages demande un effort, un engagement dans la durée pour un plaisir différé. À l’UDA 2015, Bruno Robbes a plaidé pour une autorité qui éduque et ne réprime pas, basée notamment sur le savoir et un cadre clair.
Décryptage FsC 460 oct 2019

Véronique Guérin autorité

QU’EST-CE QU’UNE AUTORITÉ ÉDUCATIVE ?

Pour la psychosociologue Véronique Guérin, c’est une autorité qui répond à deux besoins fondamentaux des enfants : la sécurité et l’envie d’explorer. Pour apprendre, l’enfant a besoin de se sentir en sécurité dans un cadre dont les règles sont claires. Cela lui permet de s’exprimer et l’adulte peut essayer de l’accompagner dans la connaissance de lui-même. Une démarche de dialogue, de reformulation, d’empathie qui favorise les processus internes d’exploration, loin d’une permissivité dans laquelle l’écoute de l’enfant fait oublier à l’adulte sa responsabilité d’être garant des règles qui protègent. L’autorité éducative nécessite également de s’intéresser aux relations dans le groupe, parent pauvre d’une éducation basée sur l’individualité. Un climat sécurisant et bienveillant qui permet à l’enfant de trouver une place dans le groupe, contrairement à une autorité qui compare, juge, humilie en se focalisant principalement sur les comportements déviants. En favorisant des attitudes coopératives et de soutien entre élèves, l’enseignant trouvera des relais dans la classe pour « démoder » un contexte de compétition ne favorisant que les meilleurs.
Dossier FsC 439 oct 2016

Martine Boncourt autorité

SUR QUOI L’ENSEIGNANT PEUT-IL ASSEOIR SON AUTORITÉ ?

Pour Martine Boncourt, enseignante, formatrice et docteur en sciences de l’éducation, une autorité de bon aloi ne peut s’appuyer que sur les ressorts qui faisaient le succès, très relatif, de l’autorité dure, à l’ancienne, et dont le mot même d’autorité a malheureusement gardé l’empreinte : la menace, la promesse, la peur ou la séduction. Elle doit s’appuyer principalement sur trois piliers. Tout d’abord la reconnaissance de l’enfant, de ses facultés de comprendre, d’apprendre, de désirer, d’être à la fois une personne sociale et un individu singulier. Ensuite, la confiance que l’enfant voue à l’adulte et qui ne peut s’établir que si ce dernier est « debout », qu’il n’a pas peur du groupe et on peut y travailler car cette peur est « naturelle ». Pas peur de dire « non » par exemple, tout en restant convaincu des capacités de l’enfant, même si ce n’est parfois pas évident. Cette confiance s’établit aussi par la certitude ressentie par l’enfant qu’avec cet adulte-là il va pouvoir progresser. Enfin, le travail que lui propose l’adulte, condition qui englobe les deux autres : un travail productif, créatif, lié à la vie.
Dossier FsC 439 oct 2016