Les PE maintiennent le cap !

Mis à jour le 04.01.22

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Depuis le confinement de mars 2020, le système scolaire vit au rythme des fermetures et réouvertures de classes, des protocoles sanitaires successifs, des enseignements en présentiel et en distanciel… Epuisé•es par cette situation inédite et le faible soutien du ministère, les enseignant•es ont su maintenir la continuité du service public d’éducation en faisant preuve au quotidien d’un engagement, d’une faculté d’adaptation et d’une créativité sans failles.

Dossier École sous Covid : les PE maintiennent le cap

UDA 2021 Ecole sous covid 1©Millerand-naja

Depuis le confinement de mars 2020, le système scolaire vit au rythme des fermetures et réouvertures de classes, des protocoles sanitaires successifs, des enseignements en présentiel et en distanciel… Epuisé•es par cette situation inédite et le faible soutien du ministère, les enseignant•es ont su maintenir la continuité du service public d’éducation en faisant preuve au quotidien d’un engagement, d’une faculté d’adaptation et d’une créativité sans failles.

La fermeture des écoles dans la France confinée de mars 2020 a placé les personnels dans une situation aussi inédite et brutale que complexe. Formés pour conduire et suivre les apprentissages d’un collectif d’élèves rassemblés au sein de leur classe, ils ont dû exercer leur métier à distance du jour au lendemain. Sans expérience ni formation spécifique pour ce type d’enseignement, bien souvent sans les équipements professionnels adaptés à cette nouvelle donne et surtout sans véritable accompagnement de l’institution scolaire, les PE ont malgré tout assuré la continuité du service public d’éducation. Malgré d’immenses difficultés organisationnelles et pédagogiques, ils ont réussi à maintenir le lien avec les élèves et leurs familles.
Si l’essentiel a pu être préservé pendant cette période critique, c’est en grande partie grâce aux efforts consentis par les enseignant•es qui ont « amorti » les tensions engendrées par la pandémie dans le système éducatif. Un PE sur deux estime, en effet, que sa charge de travail s’est vue renforcée pendant la période de confinement et 46% des enseignant•es du primaire considèrent que cette période de crise sanitaire s’est traduite par une fatigue accrue(1). Pour de nombreux spécialistes de santé au travail, cette situation s’explique notamment par le fait que les PE se sont sentis exclus du processus de décision concernant les nouvelles modalités d’exercice de leur métier. Etat de sidération à l’annonce du confinement, sentiment de se voir confisquer le temps d’élaboration collectif du travail pédagogique, inquiétude face au défi du travail à distance, autant d’épreuves qui ont pu se traduire par des moments de stress et par un sentiment d’isolement et de fragilité chez certains enseignants et enseignantes.

Dilemmes moraux

La nouvelle parenthèse qui s’est ouverte le 11 mai 2020, avec le déconfinement et la reprise des enseignements en présentiel, a constitué une autre phase de déstabilisation pour les PE, une fois encore placés dans l’obligation de relever de nouveaux défis pédagogiques dans un contexte de crise aigüe. La première difficulté qu’ils ont eu à surmonter a consisté à enseigner devant certains élèves physiquement présents tandis que d’autres enfants étaient maintenus en enseignement à distance puisque le retour en classe était basé sur le volontariat des familles. Pour la première fois depuis la IIIe République, l’école cessait donc d’être obligatoire pendant les semaines qui allaient suivre. Une période au cours de laquelle de nombreux PE ont reconnu avoir été en proie à de réels dilemmes moraux, voire éthiques, étant partagés entre leur satisfaction de retrouver la classe (et surtout la perception du besoin d’école des élèves, en particulier ceux ayant été « décrochés ») et la crainte de contribuer malgré eux à la reprise de la pandémie tout en mettant en danger leur propre santé. Chaque changement de dispositif - qui évoluait au rythme des connaissances épidémiologiques et des reprises de la propagation du virus au sein de la population - s’est, en effet, traduit par la nécessité pour les enseignant•es d’adapter en permanence le travail pédagogique aux contraintes du moment. Là encore, cet « effet yoyo » n’a pas été sans conséquence sur la santé et le moral des PE, toujours soucieux de concilier les mesures sanitaires avec le bien-être des élèves et de maintenir des pratiques pédagogiques pertinentes en pratiquant des ajustements professionnels permanents.

“Malgré les efforts épuisants consentis pour s’adapter aux réorganisations successives de  l’enseignement,
les PE ont globalement traversé la crise de la Covid-19 avec la satisfaction du travail accompli”

Le sens de la mission éducative préservé

Même s’il est encore trop tôt pour tirer un bilan exhaustif de cette période hors normes pour l’école, certains points positifs semblent affleurer des situations difficiles rencontrées par les enseignant•es. Ainsi, 80% des PE affirment s’être découverts de nouvelles aptitudes pendant la crise tandis que 68% y ont trouvé de nouvelles formes du métier à explorer. Un constat tiré des expériences personnelles vécues au cours des derniers mois, même si seulement 24% des PE considèrent avoir reçu une aide de l’administration pendant cette épreuve professionnelle sans précédent(2).
Malgré les efforts épuisants consentis pour s’adapter aux réorganisations successives de l’enseignement, les PE ont globalement traversé la crise de la Co-vid-19 avec la satisfaction du travail accompli. Pour eux, l’essentiel a été de préserver la dimension humaine et sociale de leur travail et de maintenir le sens de leur mission éducative.
(1) (2) Enquête Harris/SNUipp-FSU, mai 2020.

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Eclairage
Travail sous déconfinement

La réouverture des écoles au 11 mai 2020 s’est accompagnée de mesures contraignantes tant en aménagement de gestes barrières que de rotation des groupes d’élèves. Un défi pour les PE contraints d’adapter fortement leurs pratiques. Cécile Berterreix, formatrice à l’INSPE de Pau, a mené une recherche sur le travail enseignant durant cette période de déconfinement.
Le 13 avril 2020, le président de la République annonçait un déconfinement impliquant une réouverture progressive des écoles primaires à compter du 11 mai. Après un premier avis défavorable et une préconisation de report en septembre, le comité scientifique valide finalement la réouverture des écoles accompagnée d’un protocole rigoureux et basé sur le volontariat des familles. Fait inédit sous la troisième République, l’école n’est plus obligatoire pour toutes et tous.
Les enseignants sont alors partagés entre l’envie de retrouver la classe, la perception du besoin d’école des élèves, en particulier ceux ayant été « décrochés », et la crainte d’être contaminés et de contribuer à la reprise de la pandémie. Une tension morale qui va s’installer dans le temps, au fil des changements de protocole, de l’évolution des connaissances sur le virus, des reprises épidémiques et des adaptations professionnelles. En septembre 2021, ces tensions restent présentes après l’annonce de la fin du port du masque pour les élèves, entre respiration et peur des fermetures de classes. Depuis un an et demi, les enseignants sont soumis à nombre de paradoxes, entre soulagement des allègements successifs de protocole et maintien d’une vigilance pour éviter toute reprise épidémique. Concilier les mesures sanitaires avec un bien-être des élèves, concilier un contexte sécure et des pratiques pédagogiques pertinentes sont une gageure relevant d’ajustements professionnels permanents.

“Une réappropriation pour ne pas perdre le sens”

Cécile Berterreix UDA 2021 ©Millerand-Naja

Cécile Berterreix est formatrice à l’INSPE de Pau et doctorante en sciences de l’éducation

Quelles ont été les conditions de reprise pour le PE après le confinement ?

Après deux mois anxiogènes de confinement, les enseignantes et enseignants commencent à stabiliser les formes de travail à distance. Malgré la réouverture des écoles annoncée pour le 11 mai, le protocole sanitaire fixant les modalités de réouverture n’est relayé que six jours avant, augmentant la complexité et l’anxiété. Les professeurs d’écoles mesurent les enjeux sociaux et économiques mais s’inquiètent à la fois des risques épidémiques et des modalités opérationnelles de mise en œuvre. Le déconfinement s’ouvre sur une urgence à penser les aménagements, l’organisation des groupes d’élève issus des familles volontaires pas toujours connus, la réorganisation du travail en équipe, la gestion du présentiel associé à du distanciel dans un temps restreint.

Quelles ont été leurs préoccupations ? 

Elles sont de quatre ordres : le sanitaire, le traitement des difficultés, l’engagement des élèves et des questions éthiques. Alors que le groupe classe est bousculé avec une partie présente et une autre à distance, il s’agit de concilier des activités individuelles tout en retrouvant une dynamique de groupe mise à mal par l’espacement requis. La volonté de préserver la cohésion du collectif est très forte et renforcée par une volonté d’équité entre élèves en présence et ceux à distance. Cela va engendrer une vigilance au rythme des apprentissages des uns et des autres. La question du bien-être des enfants va rapidement se poser aussi, en particulier veiller à mobiliser des corps contraints à une sédentarisation.

“La volonté de préserver la cohésion du collectif est très forte et renforcée par une volonté d’équité”

A quels empêchements professionnels ont-ils été confrontés ? 

Les enseignants sont contraints de transformer les activités antérieures, ôtant parfois des dimensions qui faisaient sens pour eux dans leur travail. Le renoncement aux situations de recherche en sous-groupes ou aux corrections croisées par exemple obligent à un enseignement plus frontal, plus individualisé. Une multitude de domaines d’EPS sont empêchés du fait du protocole. Les PE la « revoient à la baisse » en la transformant en « un temps pour bouger ». Les contrariétés sont particulièrement fortes en maternelle où la proximité affective est empêchée. Mais progressivement, au fil des semaines, une certaine réassurance et un besoin de retrouver le cœur du métier entraîneront quelques lâcher-prises.

Ils ont donc adapté leurs pratiques ? 

On note deux types de transformations. D’une part des transformations visibles avec des activités remaniées : un « quoi de neuf » ciblant ordinairement des apprentissages langagiers précis devient un temps de correspondance pour les camarades absents ; un plateau collectif du jeu de société est transformé, affiché sur un TBI ; l’ardoise devient un outil d’étayage intermédiaire enseignant-élève... Il ne s’agit pas d’innovations mais de repenser les activités habituelles. De même, les situations sont davantage explicitées et répétées. Mais il existe aussi des transformations silencieuses. Lorsque les enseignantes et enseignants sont amenés à veiller aux respects des nouvelles règles protocolaires. « Ne pas gommer puis souffler, ne pas donner la main, ne pas se déplacer en autonomie» constituent une multitude de gestes habituels à réfréner. C’est invisible mais très coûteux. De même l’envie de suivre l’ensemble des élèves de la classe le plus équitablement possible malgré les groupes irréguliers en concevant les activités à la fois pour le distanciel et le présentiel va constituer une véritable question d’éthique. Ces réappropriations du travail visent à ne pas perdre le sens d’un métier dont le cœur est malmené par ce contexte de pandémie.

Des satisfactions ?

Malgré un fort épuisement, notamment lié aux évolutions du protocole obligeant à de nombreuses réorganisations, malgré des renoncements de pratiques antérieures choisies, les enseignants ressentaient de la satisfaction lorsqu’ils estimaient avoir réussi à offrir des conditions respectables d’accueil. Ils en éprouvent également à force de persévérance et de tâtonnements, lorsque l’activité redéfinie finit par fonctionner. Passer de 28 à 12 élèves a également été un facteur de calme, de possibilité de mieux accompagner les enfants. Enfin, le lien institué avec les familles, les remerciements, les prises de conscience de la difficulté d’enseigner ont permis un sentiment de reconnaissance. D’une manière générale, les satisfactions furent liées à la dimension humaine et sociale du travail, à la préservation du sens.

UDA 2021 dossier Ecole sous covid 3©Millerand-naja   

Touchés mais pas coulés
Reportage

En première ligne face aux attaques sans précédent du virus mais aussi aux atermoiements des décisions ministérielles, les enseignants et enseignantes ont maintenu le cap des apprentissages en faisant preuve de résilience et d’imagination. Durant le confinement et à la réouverture des écoles, ils et elles ont été confrontés à de nombreuses et nouvelles difficultés qui n’ont pas été sans conséquence sur leur santé.

« On sentait que l'école allait fermer », se rappelle Faustine Ottin, directrice de l’école élémentaire Georges Brassens à Bruay-sur-l’Escaut (Nord), située en zone d’éducation prioritaire. « Le référent ERUN* est venu de manière informelle, un midi, nous former au nouvel espace numérique de travail mis en place à la rentrée scolaire dans le département, une chance car le soir même nous apprenions que les écoles fermaient le lundi suivant ! », explique Faustine. Si cet outil a permis de très vite communiquer auprès des familles, le travail en équipe a été le levier essentiel pour tenir durant cette période difficile. « Tout était plus coûteux, plus compliqué, la surcharge cognitive était importante et nous avons décidé de la diviser, précise Faustine. Nous organisions des visios pour chaque niveau de classe, les collègues se mettaient d’accord sur les outils, préparaient à deux ou plus la classe, décidaient du planning des classes virtuelles, choisissaient de co-intervenir ou pas ». Malgré tout, un sentiment d’inefficacité s’est fait ressentir car les résultats n’étaient pas à la hauteur de l’investissement et beaucoup d’élèves restaient injoignables. « Heureusement le collectif a aidé à ne pas déprimer, à donner du sens à notre travail, remarque la directrice. Il a eu aussi un rôle fort de lien social ». À la réouverture des écoles, du fait de l’accueil des élèves de deux écoles sur un seul site, ce collectif de travail s’est retrouvé élargi, et depuis, les directrices poursuivent ce travail commun.
*Enseignant pour les Ressources et les Usages Numériques.

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“Limiter la charge de travail des enseignants”

Dominique Cau-Bareille est maîtresse de conférence à l’Institut d’étude du travail de Lyon. Elle mène des travaux de recherches en ergonomie dans le champ de l’enseignement.

Dominique Cau-Bareille UDA 2021

Cécile Brunon mène des travaux de recherche en ergonomie au CNAM et est chercheuse associée au laboratoire « Éducation, Cultures et Politique » de l’Université Lumière Lyon 2. Ses travaux portent sur les stratégies mises en jeu pour gérer différentes sources de prescription.

Cécile Brunon UDA 2021 ©Patrick Cros-NAJA

Comment définir la santé au travail des PE ? 

Cécile Brunon : La santé au travail, celle des enseignants comme celle de toutes les personnes qui travaillent, n’est pas simplement l’absence de maladie mais un processus qui se construit dans le temps au fil des expériences.
Dominique Cau-Bareille : C’est une notion complexe, c’est être en capacité de faire face à ce qui peut vous arriver, ce qui sort de l’ordinaire, être en capacité de renormaliser son activité pour réguler des situations. Cela peut être source d’apprentissages et de développement personnel.

Le confinement a-t-il eu des conséquences sur leur santé ? Lesquelles ? 

D. C.-B. : Les enseignants n’ont pas été impliqués dans les processus de décision concernant le confinement. Ils ont été mis devant le fait accompli, devant la responsabilité d’organiser individuellement le travail à distance. Le fait de confisquer ce temps d’élaboration collectif a eu un impact sur la santé. Il y a eu toute une étape de sidération face à l’annonce du confinement, puis une phase d’inquiétude sur comment faire puisqu’il n’était pas possible de mettre en place les gestes professionnels. Cela a été source de stress et a fragilisé certaines personnes.
C. B. : Des enseignants se sont saisis des marges de manœuvre qu’ils avaient, du fait de prescriptions quasiment inexistantes et se sont donnés plus de liberté pour tester des choses. Pour d’autres, le distanciel a été beaucoup plus difficile à mettre en place. Ils se sont sentis en difficulté face à cette nouvelle situation sans compter qu’il leur a fallu maîtriser les outils numériques du jour au lendemain. Certains ont pu s’appuyer sur leur expérience mais cela a été plus compliqué pour d’autres pour des raisons matérielles et de formation aux outils.

“Il y a eu toute une étape de sidération face à l’annonce du confinement, puis une phase d’inquiétude sur comment faire”

Quels leviers ont été actionnés par la profession pour minimiser cet impact ? 

D. C.-B. : Là où il y avait un collectif fort avant le confinement, les collègues se sont organisés entre eux pour gérer les enseignements, trouver des astuces, contacter les familles qui ne répondaient pas aux appels. Il y a eu une certaine solidarité au sein de l’école. Cela a permis de mener des réflexions et de jouer un rôle positif sur l’élaboration des activités proposées aux élèves, mais aussi de limiter la charge de travail des enseignants pour ne pas se perdre dans un puits sans fond. Les parents ont aussi parfois été des ressources, se rendant au domicile de familles qui n’avaient pas d’informatique, pour déposer du travail. Là où les collectifs étaient faibles, chacun a travaillé individuellement, le collectif ne jouant pas son rôle protecteur du point de vue de la santé.
C. B. : Les enseignants ont pu demander de l’aide dans leur sphère personnelle mais aussi dans une sphère professionnelle un peu plus élargie que d’habitude. Notamment avec l’aide de certaines circonscriptions, conseillers pédagogiques qui ont tout de suite réagi et mis en place des espaces d’échanges. Les sphères de vie personnelle et professionnelle se sont brouillées : le professionnel a pu prendre beaucoup de place, avec une difficulté à poser des limites entraînant le sentiment d’être débordé, surchargé de travail

En quoi la réouverture des écoles a-t-elle participé à la fragilisation de la santé des PE ? 

C.B. : Les enseignants ont appris quelques jours avant la reprise dans quelles conditions ils allaient rouvrir les écoles, avec des protocoles sanitaires contraignants qui ont modifié de façon importante la manière de faire fonctionner l’école mais aussi de faire classe. Ils se sont retrouvés à devoir repenser tout cela avec le stress de l’organisation, la peur de la maladie et une difficulté à trouver du sens. S’ajoutent à cela des consignes pas très claires sur ce qu’on allait devoir faire à l’école. Il y avait la sensation pour certains de rouvrir les écoles pour faire garderie. Tout cela a été très déstabilisant et a chassé d’un revers de main tout ce qui avait pu être construit pendant le confinement alors que certains enseignants s’étaient vraiment investis dans leur travail, avec une forme de stabilité dans le travail à distance. Mais tous étaient contents de retrouver leurs élèves car le cœur du métier est d’être en relation avec eux. Ce qui a été éprouvant, c’est le fait de ne pas pouvoir s’appuyer sur des routines et tenir un rythme soutenu, ce qui est coûteux du point de vue de la santé.
D. C.-B. : Là encore, les enseignants ont été exclus du processus de décision, avec des protocoles qui ne tenaient pas du tout compte du point de vue de l’activité. Comment faire pour accueillir les enfants, comment réaliser un travail de qualité avec un protocole qui entrave la relation entre élèves et entre élèves et enseignants ? Cela a suscité énormément d’inquiétudes et de colère face aux incohérences des mesures mises en place et à leur non faisabilité.

“Il est essentiel que les décisions importantes soient prises en concertation avec les acteurs de terrain”

Enseignement en classe et maintien du lien avec les familles restées à distance, quelles conséquences sur la santé des PE ? 

C. B. : Des enfants étaient à l’école, d’autres non. Il a été demandé aux enseignants d’abandonner le distanciel. Pour certains, cela a été très difficile de trancher le dilemme entre préserver sa santé et ne pas abandonner ces élèves restés à la maison. De plus, ils ont été seuls pour le trancher dans un contexte d’urgence.
D. C.-B. : Certains ont collé à la consigne de ne faire que du présentiel et se sont retrouvés en cohérence avec la prescription institutionnelle. D’autres ont fait uniquement du présentiel mais tout en étant inquiets des élèves non présents en classe, générant un conflit éthique difficile à vivre. D’autres encore n’ont pas voulu « abandonner » les élèves restés en distanciel et ont continué à leur donner du travail, à échanger avec eux. Ceux qui ont cherché à tenir le présentiel et le distanciel sont ceux qui nous ont semblé en plus mauvaise santé, faisant état d’une fatigue chronique extrêmement importante. Dans ce choix de garder les deux activités, ils ont cherché à garder du sens dans le travail.

Quel a été le rôle du collectif de travail dans la phase de réouverture des écoles ? 

C. B. : L’appui sur le collectif a été différent d’une école à une autre. Parfois, des organisations collectives ont permis de se partager le travail. Parfois, le collectif a été mis à mal en raison de l’urgence de la situation, de la présence du virus ou des choix d’organisation de la classe.
D. C.-B. : Les postures différentes au sein de collectifs forts ont fragilisé certaines équipes pédagogiques. Au moment de la réouverture des écoles, beaucoup de choses ont pesé sur les épaules des directeurs qui ont joué un rôle de parapluie vis-à-vis de leurs collègues. Cette période a été source d’inquiétudes, d’insomnies amenant certains directeurs à vouloir arrêter de porter cette responsabilité.

“Tous étaient contents de retrouver leurs élèves car  le cœur du métier est d’être en relation avec eux”

Quelles recommandations faites-vous pour préserver la santé au travail ? 

D. C.-B. : Il est essentiel que les décisions importantes soient prises en concertation avec les acteurs de terrain, plus au fait du réel de l’activité et des contraintes de l’activité. Il est aussi important, tant d’un point de vue syndical qu’institutionnel, d’avoir des temps de réflexion sur ce qui a été imaginé, inventé pendant le confinement, pour pouvoir penser le devenir du métier.
C.B. : Même si les enseignants arrivent à prendre un peu plus de la distance avec la situation que nous impose le Covid, même s’ils s’octroient un peu plus de marges de manœuvre, il faudrait des espaces de discussion et d’élaboration pour savoir quoi faire des protocoles, discuter du réel de l’activité. Les enseignants se retrouvent à bidouiller, tricher avec la prescription pour tenir le coup mais comme cela n’est pas assumé collectivement vis-à-vis de l’employeur, ce n’est pas confortable et ne permet pas de construire sa santé au travail.

UDA 2021 dossier Ecole sous covid 5©Millerand-naja

Enseigner à distance : c’est quoi ce travail ?
Eclairage

La fermeture des écoles en mars 2020 a confronté enseignantes et enseignants à un inédit pédagogique : faire classe en étant privé du regroupement physique de leurs élèves. Sans formation à l’enseignement à distance, ni équipement professionnel et avec un accompagnement limité de l’institution, les personnels ont tenu le service public d’éducation. Malgré l’isolement et les difficultés ressenties, le lien avec les élèves et leurs familles a été maintenu.

Une charge de travail renforcée des PE
50% des PE ont travaillé plus que lors d'une période "normale" 
46% estiment que la période de confinement a été plus fatigante qu’à l’ordinaire
Un exercice du métier plus difficile et plus solitaire
79% des PE disent avoir travaillé de manière plus isolée
60% des PE ont davantage travaillé en équipe
15% des PE ont éprouvé plus de difficultés à exercer leur métier
Les ressources utilisées 
96% des ressources pédagogiques cherchées par mes propres moyens
67% une entraide entre collègues
84% une formation personnelle en ligne 24%
24% une aide de l'administration
Un métier renouvelé
80% des PE se sont découverts de nouvelles aptitudes
68% estiment que de nouvelles formes du métier sont à explorer

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“La crise a mis en avant la professionnalité enseignante

Frédéric Grimaud UDA 2021 ©Millerand-Naja

Frédéric Grimaud est professeur des écoles et docteur en sciences de l’éducation. Il est chercheur pour le chantier travail du SNUipp-FSU conventionné avec l’Université Aix-Marseille dans l’équipe ADEF (Apprentissage, didactique, évaluation, formation) et plus particulièrement dans le programme CLAEF (Clinique des activités en éducation et en formation) dirigé par Frédéric Saujat.

Quel a été l'impact du confinement sur le travail des enseignants ? 

L’enseignement à distance a impacté toutes les dimensions du métier, selon la catégorisation d’Yves Clot*. La dimension personnelle a été déstabilisée par l’explosion du temps de travail « hors la classe » qui a envahi le temps personnel. La dimension interpersonnelle a été bousculée dans la mesure où il a fallu organiser son métier d’enseignant non avec ses collègues mais dans un contexte familial complètement dynamité par le fait de répondre à toute heure à des SMS envoyés par des élèves. La dimension interpersonnelle, essentielle car elle définit la tâche à réaliser, a été synthétisée par la formule de « continuité pédagogique ». On peut souvent considérer floues, voire contradictoires, les prescriptions données aux PE. Ici, elles ont été particulièrement absentes, obligeant à suivre les déclarations télévisuelles du ministre. Enfin les codes, les gestes professionnels qui font l’histoire du métier en constituent la dimension transpersonnelle. Du jour au lendemain, les outils n’étaient plus les mêmes, brutalement remplacés par des plates-formes numériques... Même le recours aux photocopies a occasionné des procédures incroyables comme le transit par la boulangère pour éviter les contaminations ! La crise a mis en avant la professionnalité enseignante, la capacité des PE à surmonter les obstacles pour vraiment continuer à faire leur métier.

Comment les PE se sont appropriés la prescription de la continuité pédagogique ? 

Dans ma recherche, pourtant limitée au temps court du confinement, j’ai noté une évolution des propos des enseignants. Au début, les réactions étaient plutôt hostiles à cette notion considérée comme un oxymore car la pédagogie suppose la relation humaine adulte/enfant, impossible à incarner à travers un mail. La posture était de ne pas proposer de nouveaux apprentissages. Puis les PE ont été heurtés par un principe de réalité, le fait que les enfants et les familles continuent à être en demande d’apprentissages. Par exemple, la maîtresse de CP s’est donc refusée à rester sur le son « oin » pendant quatre semaines. Les enseignants ont exploré des pistes pour continuer à faire l’école. Au final, sans s’approprier la consigne mais sans la rejeter complètement non plus, ils ont fait autre chose, avec une forte variabilité individuelle.

“L’enseignement à distance a moins généré de dilemmes spécifiques qu’il n’a révélé de dilemmes professionnels ordinaires”

A quels dilemmes ont été confrontés les PE ? 

Des dilemmes de valeur ont émergé immédiatement. Le fait de ne pouvoir s’adresser qu’à une seule partie des élèves, de ne pas pouvoir répondre aux besoins de tous les élèves ne fait pas partie de l’histoire du métier et n’était pas supportable sur le long terme. D’autres dilemmes ont concerné les choix d’applications numériques : utiliser les outils proposés par l’Éducation nationale, gratuits, des logiciels libres mais peu efficients ou payer pour des logiciels GAFAM ? Mais au fond, l’enseignement à distance a moins généré de dilemmes spécifiques qu’il n’a révélé de dilemmes professionnels ordinaires : comment corriger et annoter les copies d’élèves ? Continuer à avancer avec ceux qui ont compris ou reprendre avec l’ensemble du groupe ? En situation de production d’écrits, que faire si on s’aperçoit que la classe n’a pas compris l’implicite dans le texte de départ ? Sachant que les retours des élèves qui auraient été immédiats en classe sont différés d’une semaine, faut-il les laisser s’exprimer même hors sujet ou les ramener vers la consigne ?

Un exemple précis de pratique bousculée par l'enseignement à distance ? 

La lecture d’albums en maternelle a constitué une préoccupation importante chez plusieurs collègues concernées par la recherche, après que deux d’entre elles ont créé une chaine « Youtube » pour se filmer en train de lire des albums. Dans les échanges collectifs, les débats ont évolué de questions spécifiques au confinement -faut-il filmer l’album seul ou cadrer la maîtresse qui lit pour rétablir la dimension affective de la relation pédagogique?- vers des questions ordinaires de l’enseignement en maternelle : doit-on lire ou raconter, quitte à changer le texte ? Quelle place accordée aux illustrations au cours de la narration ? Les arbitrages aboutissent à des pratiques différentes, toutes professionnellement assumées. C’est en cela que les échanges provoqués par le chantier travail sont sources de développement professionnel. La confrontation des manières de faire avec les pairs permettent à celles et ceux qui font le travail de définir les critères du « travail bien fait ».

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Quel numérique pour garder le lien ?
Reportage

La fermeture des écoles en mars 2020 a pris au dépourvu enseignants et enseignantes. Comment mettre en place la « continuité pédagogique » prônée par le ministre ? Comment ne pas perdre contact avec les enfants et leurs familles, surtout celles éloignées de l’école ? Autant de questions auxquelles l’institution ne pouvait répondre tant la  situation était exceptionnelle. Alors, sur le terrain, dans les écoles, les PE ont dû se réinventer.

Bouchra Abdoul et Safia Henni, toutes deux PE à l'école Paul Langevin de Stains (93), ont su relever le défi grâce aux réseaux sociaux. Institgram, c’est le compte qu’elles ont créé sur Instagram lorsqu’elles se sont aperçues que les échanges par mail ne conviendraient pas à une très grande majorité de leurs élèves. « Nous sommes dans une maternelle d’éducation prioritaire, explique Safia. Au début, on a envoyé des mails, donné des consignes par écrit. On avait très peu de retours. Et puis, en cycle 1 tout passe par la manipulation. Il fallait que l’on trouve le moyen de montrer ce que les élèves devaient faire ». « On a donc décidé de faire des vidéos, raconte Bouchra. Comme c’est visuel, on avait plus de chance de toucher les parents. On proposait des activités courtes à faire avec des objets qu’ils avaient à la maison. C’était accessible à tous. Et ça a vite pris, les parents regardaient les vidéos et certains nous en envoyaient de leur enfant en activité. On a aussi mis en place des défis ». Très vite, le compte, qui au départ était à destination des parents de leur classe, est pris d’assaut par des parents de toute la France. « Ils nous envoyaient des commentaires pour nous remercier car il se sentaient dépourvus et isolés ». Aujourd’hui, le compte est toujours actif et publie des vidéos des activités quotidiennes en classe. « Ce compte permet de créer du lien avec les familles, ce qui est difficile dans ce contexte sanitaire mais aussi avec le plan Vigipirate. Les parents découvrent leurs enfants dans leurs activités scolaires ». C’est dans un contexte exceptionnel et inimaginable que Safia et Bouchra ont ouvert leur page Institgram. Aujourd’hui, elles ne la fermeraient pour rien au monde. « C’est une nouvelle façon de nouer du lien », conclut Safia

UDA 2021 Ecole sous covid 1©Millerand-naja

“Ce qui est important est dans quel système on enseigne”

André Tricot UDA 2021 ©Millerand-Naja

André Tricot est professeur en psychologie cognitive à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Il conduit ses recherches dans deux domaines : les apprentissages et leurs difficultés, l’activité de recherche d’information sur des supports numériques.

Le numérique, une solution miracle ? 

Depuis une quarantaine d’années, les résultats de recherche montrent que les apports du numérique sont très différents selon la discipline et la fonction pédagogique – pour faire des exercices, pour comprendre ou encore pour présenter une activité ou une notion. L’âge des élèves est aussi un élément à prendre en considération. Aujourd’hui, plus personne n’ose prétendre qu’en général le numérique, c’est bien ou en général, le numérique c’est mal.

Quels écueils ? 

Un des écueils souvent évoqué est celui de compatibilité entre les outils numériques et l’organisation de la classe, qu’elle soit temporelle, spatiale ou sociale – les interactions entre les élèves et avec l’enseignant. Sur un autre plan, c’est la disponibilité du matériel et des équipements. Pour autant, avoir le matériel ne garantit pas un usage efficace, c’est pour cela que l’on ne peut dissocier la dotation informatique de la formation pédagogique des enseignants et enseignantes. Les pays qui ont eu des politiques publiques d’équipement très volontaristes, comme en Turquie ou en Grande Bretagne, ont pu être déçus des résultats obtenus sans formation des PE. En France aussi, il y a eu une volonté politique d’équiper mais sans réellement former. Fournir le matériel n’est pas la solution, il faut entrer dans une politique plus globale d’équipement et de formation pédagogique.

                            “L’état actuel des choses ne permet pas d’envisager le numérique comme solution miracle.”

Quels atouts ? 

Lorsque l’on regarde la littérature sur les plus-values, on voit des choses très contrastées selon l’objectif pédagogique. Si on équipe les classes en lecteur MP3 pour l’étude des langues vivantes afin de permettre individuellement l’écoute de la langue parlée, alors, dans ce cas particulier, l’intérêt est absolument indéniable. Mais cet intérêt dépend avant tout et surtout de l’accompagnement pédagogique, de la manière dont l’enseignant a construit sa séance autour de ces tâches de compréhension orale en autonomie. Mais en tant que support, le lecteur MP3 sera idéal pour cette activité mais complétement inadapté à une activité de mathématiques, par exemple. L’outil numérique peut aussi être l’outil nécessaire au contournement de la difficulté pour des élèves porteurs de troubles cognitifs ou de handicap, qu’ils soient sensoriels ou moteurs. Là, les plus-values sont très importantes mais les investissements publics ne sont absolument pas à la hauteur. Il existe aussi des apports attendus qui ne s’attestent pas finalement. Lorsque l’on interroge les enseignants, dans leur très large majorité, ils sont persuadés de la vertu du numérique sur la motivation des élèves. Pourtant, cet effet ne se confirme pas dans les différentes études sur le sujet. Les élèves sont séduits, sont intéressés mais pas motivés. La motivation entraîne un engagement dans l’apprentissage qui n’est pas attesté dans le cas des usages numériques. Certains auteurs pensent même que cette perception d’une motivation accrue chez les élèves par les enseignants et enseignantes est dû à leurs représentations du numérique. Pour un élève, à fortiori un adolescent, les outils numériques proposés par l’école sont loin d’être aussi intéressants que leurs jeux vidéo.

A quelles conditions l'usage du numérique à distance pourrait-il ne pas creuser les écarts ? 

C’est assez compliqué. Le confinement vient de nous prouver que les outils numériques contribuent à creuser les écarts. Prétendre en France, où les écarts dus à l’origine sociale des enfants ne se résorbent pas à l’école mais se creusent, que le numérique pourrait contribuer à améliorer les choses serait extrêmement prétentieux. J’aimerais beaucoup me tromper mais l’état actuel des choses ne permet pas d’envisager le numérique comme solution miracle. Les outils numériques ne sont que des outils, ce qui est important c’est dans quel système on enseigne. Quels sont les mécanismes de sélection précoce des élèves ? Comment sont prises en charge les différences entre les élèves et entre les parents ? Ce sont là les questions fondamentales dont on doit s’emparer si l’on veut opérer un changement. Les outils numériques sont peu de choses au regard de ces questions. Si on compare aux métiers de la banque ou encore du tourisme, on voit un bouleversement des métiers depuis l’arrivée du numérique. Mais pas dans l’enseignement où ce qui est important, c’est d’avoir une personne qui enseigne et qui sait enseigner dans un système organisé pour être équitable. Les outils numériques arrivent loin derrière.