“S’inscrire dans des démarches globales”

Mis à jour le 18.12.21

min de lecture

L'entrée dans l'écrit en maternelle : Il ne suffit pas de développer la conscience phonologique pour qu'il y ait un apprentissage de le lecture à long terme.

Christophe Joigneaux est professeur des universités en sciences de l’Éducation à l’UPEC (Université de Paris- Est Créteil) et formateur à l’INSPE de Créteil. Il a mené de nombreuses recherches sur l’entrée dans l’écrit des jeunes enfants et les inégalités scolaires.

Christophe Joigneaux UDA 2021 ©Millerand-Naja

Comment se manifestent les inégalités dans la maîtrise de l'écrit à l'entrée de la maternelle ?

De différentes façons dont les plus connues concernent la familiarité avec les albums de jeunesse et la façon de les lire. Des élèves en comprennent les implicites, mettent en relation différents éléments textuels ou iconographiques et font des interprétations assez fines, tandis que d’autres sont beaucoup moins familiers avec ces usages. Ceux-ci ont tendance à beaucoup moins participer en classe. On les traite de « petits parleurs » alors qu’ils peuvent beaucoup parler par ailleurs mais précisément pas dans les situations où ils sont mis en contact avec la langue écrite. Dans mes recherches, j’ai également observé les façons de faire avec des supports écrits, des fiches ou affiches aux significations parfois complexes. Là encore, les élèves les moins familiers avec l’écrit ont plus de mal à mettre en relation des éléments graphiques et ont tendance à faire plus d’erreurs. Les plus connivents avec l’écrit reproduisent les mêmes compétences qu’en lecture d’albums et circulent entre les différentes parties des espaces graphiques pour les mettre en relation, en tirer des informations et comprendre ce qu’on leur demande de faire.

Quelle est la source de ces inégalités ? 

C. J. : Dans une enquête proposée avec Stéphane Bonnery à 80 familles, diverses sur le plan social et culturel, nous nous sommes intéressés à ce qui se passait dans les lectures partagées. Des parents incitent les enfants à des retours en arrière pour comprendre des inférences, prélever des indices dans le texte ou les illustrations. D’autres proposent une simple oralisation, sans questionnement, ni mise en réseau avec d’autres récits qui donnent des clés pour comprendre l’album. Ces différents types de lecture partagée sont très socialement situés, c’est-à-dire très liés au niveau de diplôme des parents et donc à l’origine sociale des enfants.

Anticiper et renforcer les apprentissages phonologiques, est-ce un levier durable de réussite ? 

Non, surtout quand on le fait au détriment d’autres activités langagières. Depuis 40 ou 50 ans, on sait qu’il y a une très forte corrélation entre une bonne conscience phonologique et une entrée facilitée dans le décodage. Mais les choses sont quand même beaucoup plus complexes, comme le montrent des études récentes de la Depp. Il ne suffit pas de développer la conscience phonologique pour qu’il y ait apprentissage de la lecture à long terme. Si on se concentre uniquement sur cet aspect du langage au détriment du reste, comme la syntaxe, le vocabulaire, les dimensions pragmatique « à quoi ça sert le langage ? » ou méta-langagière, le fait que le langage serve à réfléchir sur le langage lui-même ou sur les fonctions de l’écrit, qu’il soit aussi un auxiliaire de la mémoire… si toutes ses dimensions ne sont pas travaillées, ce qu’on arrive à faire au mieux c’est préparer les élèves à réussir au CP. Mais on ne réduit pas les inégalités sociales et on ne prépare pas les élèves sur le long terme. Pour les apprentissages ultérieurs et des usages sociaux compétents de l’écrit, il faut s’inscrire dans des démarches plus complexes, plus riches, je dirais presque globales.

Porter une attention aux processus d'apprentissage plutôt qu'aux productions finies, un intérêt pour corriger les inégalités ?

Oui, ce sont des choses sur lesquels j’insiste en tant que formateur à l’INSPE. La plupart du temps, les PE débutants regardent les produits finis des élèves mais pas ce qui a conduit à ces réalisations, ce que font davantage les plus expérimentés. Les élèves qui réussissent le mieux sont capables de revenir sur ce qui a déjà été fait, d’anticiper ce qu’il reste à faire et de façon générale de circuler dans tout l’espace graphique. On ne peut pas prendre conscience de ces micro-procédures très fugitives uniquement sur les traces écrites laissées par les élèves de leur activité intellectuelle. Il est donc très important de se donner les moyens d’observer en temps réel ce que font les élèves pour ensuite mieux les questionner et différencier. Cela soulève des problèmes de mise en œuvre, en particulier quand il y a beaucoup d’élèves dans la classe. Par exemple, pour évaluer ce que l’élève peut faire avec l’adulte, il faut être à la fois acteur et observateur et ce n’est pas simple. Sans formation suffisante à ces démarches, on n’aboutit souvent qu’à ne cocher des cases sur des compétences, pas toujours très fines. Il faudrait davantage d’aides, de moyens, de temps de concertation, voire de co-intervention pour mettre ce travail en œuvre.