Découvrir un autre monde

Mis à jour le 29.06.23

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Interview de Gilles Brougère, professeur en sciences de l’éducation

“Une occasion de découvertes, d’un autre monde”

Gilles Brougère est professeur en sciences de l’éducation à l’université Sorbonne Paris Nord, responsable du master Sciences du jeu et membre d’Expériences, ressources culturelles et éducation (EXPERICE).Vous parlez d'une expérience hybride, qu'en est-il ?  

Dossier 491 classe découverte Gilles Brougère

Vous parlez d'une expérience hybride, qu'en est-il ?

La situation est assez complexe pour les enfants. Si avant le départ, la classe découverte est nettement considérée comme des vacances, la présence de l’école déstabilise lors du séjour. Des activités d’écriture viennent rappeler cette réalité mais les apprentissages se retrouvent aussi en situation informelle, donc moins structurés et dans des dispositifs assimilés aux loisirs. La représentation de « vacances » reste forte, mais ce sont des vacances avec les personnes de l’école. Et en même temps, voir les camarades en pyjama, parfois l’enseignante… On touche autant la vie sociale que des contenus d’apprentissage. Ce cadre paradoxal a tendance à redonner plus de place à l’enfant. « C’est des vacances d’école » témoignait un enfant. 

La classe découverte a une forme d'appartenance au tourisme ?

Oui, en partant de l’idée qu’il existe dans le tourisme ordinaire une dimension d’apprentissage. Les excursions, les visites, la découverte du milieu, la forme récréative ou contemplative, le déplacement lui-même sont des ingrédients qui relèvent du tourisme. Cette dimension est encore plus prégnante avec des séjours plus courts. De plus, ce sont souvent les mêmes lieux, en particulier pour les classes de montagne ou de mer, parfois les mêmes établissements. Si les enseignants sont dans un refus subjectif de ce rapprochement, avec une déconsidération du tourisme, les enfants, eux, le perçoivent comme une occasion de découvertes, d’un autre monde, une réalité nouvelle. Ils revendiquent même ce statut. Et pourtant leur sentiment d’apprendre est important.

L'évolution des séjours a-t-elle entraîné des reconfigurations pédagogiques ? 

À l’origine, les séjours étaient de quatre semaines et se définissaient comme des classes transplantées où la forme scolaire continuait le matin et se complétait avec des activités, souvent sportives, l’après-midi. Avec les classes de mer, c’est l’horaire des marées qui dicte l’emploi du temps ! En parallèle, elles deviennent la découverte d’un milieu et la dimension historique de soin du corps s’estompe. Aujourd’hui, avec des temps courts, le régime scolaire se dissout au profit d’une expérience assumée de contact réel avec un autre lieu, d’une acceptation d’un temps moins structuré. En France, la vision dominante de l’apprentissage reste corrélée à une réflexivité, excluant d’autres formes d’apprentissage. Or, l’immersion du séjour redonne le temps d’apprendre, détaché d’une sorte de course aux programmes. Les freins sont nombreux : recherche de financements, lourdeur des projets et demande de justifications détaillées -qui font parfois perdre le sens- consignes de sécurité ou travail de conviction à mener auprès des familles. Les classes font finalement peu de sorties. La grande liberté, le positionne ment, la diversité des adultes contrastent avec la classe ordinaire. La question est parfois de savoir si cela engendre des transformations en classe ou si cela reste une parenthèse pédagogique… 

Quels sont les enjeux finalement ?

C’est évidemment un « apprendre autrement », dans des situations particulières, une bulle qui laisse le temps à des découvertes libres, dans des dispositifs éducatifs hybrides. L’expérience peut également avoir un intérêt à s’organiser en début d’année pour participer à la structuration du groupe, pour créer des dynamiques de travail, du commun. C’est aussi se rendre compte que l’on peut être sans les parents, faire des choses seuls, ce qui fait dire aux enfants « on a grandi ». Dans un monde où l’autonomie des activités est très contrôlée, c’est la possibilité de vivre une expérience entre pairs avec une surveillance adulte allégée, dans un rapport de confiance. C’est enfin un enjeu sociétal en termes d’égalité d’accès à des lieux de découverte, y compris de nature proche du domicile. La connaissance de la mer peut être vague pour certains enfants. C’est alors justement cette question de comment on devient touriste, comment on déclenche le goût de découvrir un ailleurs pour des familles qui ne partent pas en vacances. C’est confronter une représentation fantasmatique préalable, avec un imaginaire marqué par la culture de masse, à la réalité de cet autre lieu. C’est apprendre à partir, l’envie de découvrir d’autres langages, d’autres mondes, d’autres cultures, d’autres altérités.

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