EMC : comprendre ou appliquer

Mis à jour le 27.06.24

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les nouveaux programmes d’EMC tournent le dos à l’exercice d’une citoyenneté en devenir.

À la rentrée se mettront en place les nouveaux programmes d’éducation morale et civique. Ils tournent le dos à l’exercice d’une citoyenneté en devenir.

« L’école sera le fer de lance du réarmement civique demandé par le président de la République. » C’est dans des termes guerriers que Gabriel Attal parle de l’école lors de sa première conférence de presse en tant que Premier ministre le 30 janvier 2024. Le même jour, le projet de nouveaux programmes d’éducation morale et civique (EMC) est rendu public. Déclinés par année scolaire, les nouveaux programmes doivent se mettre en place en trois ans, à compter de septembre 2024, en commençant par le CP et le CM1. Ils présentent pour chaque année les attendus et les objectifs, les notions abordées, des contenus d’enseignement et des démarches et situations d’apprentissage possibles. 

Si cette architecture rappelle celle des programmes de 2015, les contenus d’enseignement s’en éloignent. Ils montrent une conception rigide, cadrée et descendante de la construction de la citoyenneté au détriment d’un travail de réflexion et de compréhension. Les programmes de 2015 incitaient à « comprendre que la règle commune peut interdire, obliger mais aussi autoriser » et à « comprendre qu’il existe une gradation des sanctions et que la sanction est éducative ». Ceux de 2024 demandent désormais de « respecter et appliquer les règles communes » et d’expliquer « que tout manquement aux règles entraîne des conséquences... » pouvant aller jusqu’à « une sanction ».

CONCEPTIONS OPPOSÉES

Les missions données à l’EMC dépendent du type de citoyen·ne que l’on veut former et varient au fil des périodes politiques. « Ce n’est [...] pas dans l’école, c’est surtout hors de l’école qu’on pourra juger ce qu’a valu votre enseignement », écrivait Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs. Sous la IIIe République, l’objectif de faire acquérir à l’enfant le goût de la patrie, de la nation et les bonnes manières passe par une morale du quotidien, illustrée par des exemples concrets faisant appel à sa sensibilité et à son vécu.

Les mouvements de pédagogie nouvelle, à la suite de la Première Guerre mondiale, veulent contribuer à la construction de citoyens libres, émancipés et critiques quand le régime de Vichy remet en avant la morale et l’obéissance au chef, la religion catholique constituant une référence morale essentielle. Les années 1960 voient émerger la critique d’une transmission jugée descendante des valeurs et des règles à travers les leçons de morale quand la crise des années 80 réveille une nostalgie de ce modèle. Deux conceptions de l’enseignement civique s’affrontent depuis. L’une attentive à la manière de faire partager les valeurs et les principes aux élèves et à les rendre acteurs de cet enseignement, portée par les programmes de 2015. L’autre plus fondée sur une pédagogie descendante avec une volonté de restaurer une autorité soi-disant amoindrie, s’appuyant sur la sanction et réinvestissant la question nationale. 

Dans le contexte d’une société touchée par la crise, fragilisée par des attentats et où la laïcité est devenue une question sensible, c’est sur cette dernière conception que le gouvernement s’appuie depuis les programmes de 2018. À la clé, une réécriture appauvrie et bien peu ambitieuse pour la formation des futurs citoyens et citoyennes.

Interview de MICHEL DELATTRE, professeur de philosophie*

QUELLE VISION DE L’EMC DANS CES NOUVEAUX PROGRAMMES ?

Malgré les annonces d’un retour à l’instruction civique par le président de la République, ce sont bien des programmes d’enseignement moral et civique. Certains enjeux, devenus plus sensibles en dix ans, apparaissent : les questions liées aux réseaux sociaux, les techniques de plus en plus sophistiquées de manipulation de l’opinion publique, mais aussi le développement des « fake news » et des « vérités alternatives » ou la question du développement durable. Leur traitement nécessite de prendre appui sur l’ensemble des enseignements pour montrer en quoi elles présentent des enjeux de citoyenneté. Pour être efficace, il ne suffit pas d’écrire un chapeau sur l’EDD** ou l’EMI***. Les élèves ont besoin que les enseignements prennent totalement sens à leurs yeux et se vivent au quotidien. La déclinaison des nouveaux programmes par année et non plus par cycle interroge. De même, ils disent s’appuyer sur la pluridisciplinarité, mais quelle réalité ? Les programmes se jugent à la façon dont ils sont mis en application réellement dans les classes et au type d’incitations qui seront proposées.

DES POINTS DE VIGILANCE ?

Les « démarches et situations d’apprentissages possibles », supprimées en 2018, réapparaissent. Éclairer les enseignants sur ce qui peut se pratiquer en classe est essentiel. Mais les contenus proposés confondent souvent pratiques pédagogiques et objectifs et risquent de favoriser un enseignement descendant, qui pourrait se réduire à des lectures ou une leçon de morale abstraite. Les PE ont besoin d’être formés sur les connaissances, les principes et les valeurs mais aussi sur les démarches et situations d’apprentissage permettant de transformer les élèves en leur faisant comprendre les enjeux qui dépassent les simples contenus disciplinaires. C’est nécessaire aussi pour éviter toute instrumentalisation politique de cet enseignement. Enfin, se pose la question de la crédibilité d’un programme qui valorise l’égalité, la liberté, la fraternité, la solidarité... face à une organisation du système scolaire et de la société dans lesquels les élèves vivent souvent en contradiction avec ces valeurs. Il faut prendre le risque d’assumer cet écart devant eux et leur montrer que c’est justement la réduction de cet écart qui doit être l’enjeu de ce qu’on leur enseigne.

*Membre du groupe de rédaction des programmes de 2015
**EDD : éducation au développement durable.
***EMI : éducation aux médias et à l’information.

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