EMC "Cultiver le discernement"

Mis à jour le 17.11.23

4 min de lecture

Itv de Serge Cospérec, agrégé de philosophie, à propos de l'EMC

Serge Cospérec est agrégé de philosophie. Il est l’auteur de « La guerre des programmes » (Lambert Lucas, 2019) et vient de publier avec Julien Delaye « Faire vivre l’enseignement moral et civique » (Éd. Esf Sciences humaines)

FsC 493 EMC Cospérec

Quels sont les enjeux de l'enseignement moral et civique (EMC) ? 

Ils sont avant tout politiques, l’idée étant de faire des citoyens républicains. D’où, deux objectifs : d’une part, transmettre les connaissances sur les institutions et l’histoire, c’est l’instruction civique ; et d’autre part, sensibiliser aux valeurs, à l’éthique républicaine, et c’est l’éducation civique. Les deux objectifs, bien compris, s’impliquent mutuellement. Mais l’école est tantôt sommée d’instruire, tantôt d’éduquer. Le discours martial du retour à l’instruction est un leurre. Pire, il encouragera une trans mission de savoirs civiques qui resteront morts. Il y a un troisième objectif, plus ambitieux : cultiver le discernement éthique et politique du futur citoyen, lui apprendre à juger, à réfléchir moralement et politiquement, en s’appuyant sur l’intelligence collective. Ce qui implique, côté enseignants, des connaissances, des compétences et des pratiques nouvelles. Sur le terrain, avec une for mation insuffisante, elles
sont rares. 

S'en donne-t-on les moyens ? 

Clairement non. Il n’est pas un ministre qui ne proclame l’importance de l’EMC « pour la République ». La réalité de cet enseignement est qu’il reste marginal. En primaire, il est souvent réduit à l’apprentissage moralisant d’un « vivre ensemble ». Dans le secondaire, ses heures disparaissent dans l’histoire, dont les horaires ont été drastiquement réduits. Le pire est la formation. On juge suffisant de former les professeurs des écoles en deux ans, stages compris,  à dix disciplines. L’EMC est et restera le parent pauvre de la formation car pourquoi consacrer des heures à un enseignement de fait marginal ? Alors que les dis cours récurrents du gouvernement prônent l’innovation pédagogique qu’ils confondent avec l’innovation technique, les recherches et les approches de l’EMC demeurent très pauvres en France. Certaines pratiques pédagogiques proposées ne sont pas toujours praticables dans les conditions réelles des classes.

“En morale et en politique, l’enquête obéit aussi à des normes de rationalité et d’objectivité”

Pourquoi former les élèves au débat ? 

Tout citoyen est conduit à se demander : « dans quelle société je veux vivre ? ». Les choix de chacun déter minent l’avenir de toutes et tous. Quand il s’agit de définir le « Bien public », on attend que tout citoyen en juge et se prononce de façon objective, rationnelle et instruite, et non d’après « son opinion » ou sa fantaisie. Savoir ce que sont une urne, le fonctionnement d’un conseil municipal ou les symboles de la République, est nécessaire. Et on pour ra aisément vérifier ce que l’élève a appris. Mais il doit aussi cultiver son dis cernement. Y a-t-il des métiers essentiels ? Est-il juste que l’un soit livreur et l’autre ingénieur ? A-t-on vraiment besoin d’artistes ? Pourquoi ce qu’on apprend serait-il plus fiable que ce qu’on croit ? Toutes ces questions exigent d’abord une enquête car débattre n’est pas une fin en soi et encore moins « exprimer son opinion en s’écoutant les uns les autres ». Il s’agit d’enquêter à partir d’une situation inductrice, morale ou civique, suffisamment forte, un récit, pour savoir ce qu’on doit en penser et faire. Sous l’impulsion de l’enseignant qui pose la question initiale, après un passage à l’écrit individuel, les élèves peuvent mettre les idées en commun et argumenter. En fin de séance, on synthétise les savoirs construits. 

Quelles sont les vertus de l'enquête ? 

C’est le point crucial. L’enquête se fonde sur des vertus intellectuelles, s’y exercer les développe : la recherche patiente et obstinée du vrai, la disposition à ne rien accepter sans preuve, à refuser l’obscurité, l’incohérence, à réviser ses jugements, à faire preuve d’ouverture d’esprit, etc. Elle développe les compétences discursives associées, orales et écrites. On associe tout cela, à tort, plutôt aux sciences. Car on ignore qu’en morale et en politique, l’enquête obéit aussi à des normes de rationalité et d’objectivité. Cela ne s’improvise pas car l’enquête requiert des attitudes et techniques spécifiques, implique une préparation de séance et une mise en œuvre particulières. Il s’agit bien, ainsi, de former le citoyen d’une société démocratique car rien ne la menace jamais plus que les dispositions inverses : l’étroitesse d’esprit, la crédulité, l’obscurantisme et l’autosatisfaction.

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