Harcèlement
Mis à jour le 29.11.23
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Itv De Nicole Catheline, spécialisée dans la psychopathologie de la scolarité.
“Une intervention rapide résout bien des situations”
Nicole Catheline est pédopsychiatre spécialisée dans la psychopathologie de la scolarité. Ancienne présidente du conseil scientifique de la Société française de la psychiatrie de l’enfant et de l’ adolescent et disciplines associées. Autrice de « Harcèlement scolaire », PUF (Que sais-je ? 2023).
En quoi le harcèlement se différencie-t-il des autres formes de violence ?
Il se différencie des disputes ou bagarres par son caractère répétitif et par l’effet de groupe. Ce sont ces deux critères qui font la gravité du phénomène. La répétition laisse à penser à l’enfant que cela ne s’arrêtera jamais, qu’il n’y a pas d’issue. L'effet de groupe, lui, donne l’impression qu’il n’y a personne pour l’aider, que tout le monde est contre lui. De plus, le groupe est très important à cet âge. Il est lié au mouvement d’autonomisation des enfants. Ceux-ci, en grandissant, passent d’une proximité avec leur famille qui les rassure, à laquelle ils s’identifient, à la recherche de nouveaux modèles. Ils vont transférer au groupe le besoin de soutien. Il devient un microcosme idéalisé avec un fort sentiment d’appartenance. Les chiffres des cas de harcèlement suivent ce développement des enfants avec l’émergence de situations en cycle 3, une hausse au collège puis une baisse au lycée.
Quel engrenage se met en place ?
Cela débute par une personne qui perçoit chez l’autre une différence qui la renvoie souvent à ses propres vulnérabilités. Elle ne s’en prend pas à n’importe qui mais à quelqu’un qui la met mal à l’aise, qui l’angoisse ou qu’elle envie. Cette différence fait émerger une émotion très violente chez l’enfant. À cet âge, il n’a ni les capacités cognitives pour trouver la réponse intellectuelle adéquate, ni la capacité de gérer seul ses émotions. Il va alors chercher une réponse « simple » pour faire baisser la tension : considérer que c’est la faute du porteur de différence et s’en prendre à lui. Le groupe va ensuite faire écho. Tous les enfants traversent cette période de vulnérabilité et voir un élève qui s’en prend à l’autre peut faire surgir chez eux les mêmes réactions et les amener à participer. L’importance de l'appartenance au groupe peut aussi entraîner la peur d’être exclus ou d’être le prochain s’ils ne participent pas. Ensuite, le groupe s’auto-alimente au détriment de la victime qui passe au second plan.
Comment prévenir le phénomène ?
Le rôle des adultes est fondamental. Dès la maternelle, on peut apprendre aux enfants à gérer leurs émotions et à connaître le langage corporel des autres. La vie en groupe s’apprend, les enfants ne peuvent pas se débrouiller tout seuls. À l’heure où il y a une montée de l’individualisme et une perte de sens du groupe, c’est le rôle de l’école qui les accueille en groupe de leur apprendre à collaborer, à s’aider de l’autre. On peut aussi animer des temps de parole pour faire prendre conscience qu’il y a des mouvements dans les groupes, certains pouvant conduire à des choses négatives. La prévention s’inscrit dans la durée et les dix heures de sensibilisation tout le long de la scolarité sont une bonne chose. Mais, cela nécessite aussi de former et d’outiller les enseignants pour la mise en place de projets rendant les élèves actifs.
Comment traiter une situation de harcèlement ?
Une intervention rapide résout bien des situations. Tous les canaux, comme le numéro vert 3018, sont utiles pour libérer la parole. Cette dernière peut aussi être recueillie par l’école. Elle doit être prise au sérieux, sans jugement hâtif. Former et accompagner les adultes à ce recueil est important car ce sont des situations émotionnelles délicates, voire conflictuelles avec certains parents. Écouter ceux-ci et les tenir informés des démarches entreprises apaise leurs angoisses. Pour les élèves, les protocoles existants règlent la plupart des situations. La « méthode de préoccupation partagée », par exemple, fonctionne bien. Elle amène l’enfant harceleur à une prise de conscience et à être acteur de la réparation tout en replaçant la victime au centre. Celle-ci doit être écoutée, soutenue et se voir proposer des activités pour retrouver du plaisir. Lorsque l’effet groupe est installé de manière durable, l’école ne peut agir seule. Il faut faire intervenir des psychologues, des travailleurs sociaux, voire saisir la cellule de recueil des informations préoccupantes.