Les savoirs en partage
Mis à jour le 28.09.24
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Plongée dans l'Université d'automne de la FSU-SNUipp
À travers Fenêtres sur cours, l’Université d’Automne de la FSU-SNUipp entend irriguer la profession enseignante et la société civile des apports de la recherche.
« Cela va changer pas mal de choses dans ma pratique ». Ainsi témoignait Céline Lalaurette dans Fenêtres sur cours n° 216 en 2001, consacré à la première Université d’automne (UDA) du SNUipp à laquelle participe la jeune enseignante des Hauts-de-Seine.
Né avec le siècle, cet événement syndical inédit, mu par la conviction de l’éducabilité de chaque élève et l’ambition de l’accès de toutes et tous à une culture commune, propose de nourrir l’inventivité enseignante à travers la rencontre avec l’état des recherches sur l’école. Alors que la formation ne cesse de reculer jusqu’à se tarir, l’UDA ne cherche pas, selon Nicole Geneix, secrétaire générale à l’époque de la première édition, « une quelconque caution intellectuelle aux propositions du SNUipp ».
Lieu d’échanges, de confrontations et de débats, elle répond au besoin des PE de sortir de l’exercice souvent solitaire d’un métier polyvalent de plus en plus complexe. Pour enrichir et adapter des pratiques au service de la réussite de tous les élèves, l’UDA livre des clés, issues de tous les champs disciplinaires, sans exclusive, au diapason de l’appel de la communauté scientifique « L’école a besoin de toute la recherche », lancé à l’UDA 2017. Un pluralisme indispensable à des choix pédagogiques éclairés par des apports didactiques car « enseigner, c’est choisir ». Des choix qui ne sont jamais neutres mais fondés sur des conceptions de l’élève, de son devenir et plus largement de la vie en société.
Dans toutes les écoles
L’événement accueille in situ 400 PE qui, dans un cadre syndical libérateur, ont l’occasion et l’avantage de pouvoir, entre deux conférences, engager des conversations débridées avec les universitaires. Des échanges qui se prolongent également entre PE dans une convivialité partagée. Mais c’est au journal Fenêtres sur cours qu’il revient de faire circuler dans toutes les écoles les idées et connaissances brassées lors du studieux week-end ouvrant les vacances d’automne. À travers des interviews originales prenant appui sur les conférences, tout en les mettant en résonance avec les enjeux éducatifs, sociaux et culturels du moment, Fenêtres sur cours « spécial UDA » alimente aussi le débat public sur l’école de savoirs académiques actualisés… pour transformer à la fois l’école et la société.
CE QUE CONNAÎTRE VEUT DIRE
Grande figure intellectuelle, Edgar Morin qui n’avait pu participer à l’UDA 2007, tient, cependant, à accorder une interview à Fenêtres sur cours. Alors qu’en 2005, la publication du socle commun détourne les finalités de l’école de l’accès à une culture commune et qu’en 2006 le ministre de l’Éducation nationale fait l’apologie du B.A.-BA, le philosophe-sociologue développe un plaidoyer contre le cloisonnement disciplinaire des connaissances et pour l’enseignement d’une pensée complexe afin de répondre aux défis de « l’ère planétaire ». Parce qu’enseigner doit permettre d’affronter les incertitudes de la vie personnelle, mais aussi celles de la nation jusqu’à la planète, la connaissance acquise doit être « capable de saisir les différents aspects d’une même réalité (…) de voir tout ce qui lie, que ce soit associatif ou antagoniste ».
THÉORIE DE LA PRATIQUE
Transformer les pratiques enseignantes à partir d’outils construits de manière collaborative avec les PE. C’est le parti pris des recherches actions en sciences de l’éducation pilotées par Sylvie Cèbe, avec Roland Goigoux, dans la conception de méthodes de lecture pour « apprendre à comprendre », domaine négligé par l’institution. La dernière en date, «Narramus », permet aux élèves de maternelle et de cycle 2 de comprendre un album jusqu’à être capable d’en raconter l’histoire. Sa genèse a embarqué des équipes pédagogiques pendant quatre ans. Un processus collaboratif dont Sylvie Cèbe et Nathalie Bagilet, PE à Clermont-Ferrand, ont rendu compte à l’UDA 2018. Des synthèses régulières entre apports théoriques de la recherche et enrichissements du protocole par le retour d’expériences en classe ont assuré la réussite d’une démarche dont le succès ne se dément pas.
POUVOIR D’AGIR
Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le travail s’intensifie et les injonctions parfois contradictoires se multiplient. Le SNUipp mène alors campagne pour que la profession « reprenne la main sur le métier », en s’inspirant des travaux éclairants d’Yves Clot sur les conditions qui font du travail une source de plaisir et de fierté ou qui le rendent insupportable au point de rendre malade. À l’UDA 2015, le psychologue du travail diagnostique qu’« il n’y a pas de « bien-être » sans « bien faire » et que « la santé s’abîme dans des situations où le travail n’est « ni fait, ni à faire », surtout quand disparaît le pouvoir de le dire ». D’où l’importance de mener « les disputes professionnelles » dans des espaces institués et de retrouver du « pouvoir d’agir » dans des organisations du travail coopératives et favorisant l’autonomie individuelle et collective.
DONNER DU TEMPS AU TEMPS
À la soif de questionnements des PE de maternelle, l’UDA répond par une offre de conférences consacrées à « l’école première » dont Fenêtres sur cours a déjà rendu compte dès 2003 dans un dossier spécial. Mise à mal par les programmes de 2008 et une trop grande place du « lire-écrire » au détriment des jeux, des manipulations et du langage pour penser, l’identité de l’école maternelle a trouvé en Viviane Bouysse, alors inspectrice générale de l’éducation nationale, l’une de ses promotrices les plus reconnues. Dès 2012, puis en 2015, elle insistait sur la nécessité de s’emparer des trois années du cycle 1 pour respecter les besoins particuliers liés au développement de jeunes enfants en train de devenir élèves. Non pour procrastiner en attente d’une présumée maturité, mais pour étaler, complexifier progressivement les apprentissages et « aborder les difficultés en se donnant le temps de les traiter ».
RENVERSER LES STIGMATES
Quand en 2019 le regard de Benoît Falaize se pose sur les banlieues, des sujets majeurs qui jalonnent les UDA s’enrichissent mutuellement : éducation prioritaire, laïcité, culture... À la croisée de ces chemins, le collectif coordonné par l’historien change de focale sans angélisme ni naïveté sur les « Territoires vivants de la République ». Un rigoureux travail de récits ethnographiques vise à rendre justice à ces quartiers souvent stigmatisés dans la France de l’après-Charlie. Rendre justice au travail enseignant qui, malgré les difficultés, engrange des réussites scolaires « en acceptant les élèves tels qu’ils sont ». Rendre justice aux enfants des quartiers et à leur soif de se construire un avenir avec l’école « comme seule béquille ». Rendre justice à une école républicaine, laïque et nécessairement sociale, fondée sur confiance et justice, que les élèves expérimentent à l’école mais qui reste à conquérir au dehors.
JE PENSE DONC NOUS SOMMES
Dans une société de plus en plus polarisée où les affirmations identitaires entravent le débat démocratique fondé sur le respect de l’opinion d’autrui, l’enseignement de la philosophie dès l’école maternelle s’impose non plus comme un pari audacieux mais comme le cœur du projet républicain pour l’école : former des citoyens et citoyennes éclairées. La philosophe Edwige Chirouter a plaidé pour des « oasis de pensée » à l’UDA 2023. Ses travaux de recherche suggèrent qu’apprendre à penser et à échanger de la façon la plus rigoureuse possible est envisageable dès le plus jeune âge. En particulier, en prenant appui sur la littérature jeunesse qui permet d’aborder des questions comme la justice, la liberté ou l’amour avec la bonne distance, ni trop proche de l’intime, ni trop abstraite. Pour autant que ces « ateliers philo » s’inscrivent dans la régularité et la durée.