Philippe Meirieu

Mis à jour le 16.10.24

4 min de lecture

“Parier sur l’éducation et rester fidèles aux idéaux des Lumières”

Philippe Meirieu est professeur émérite à l’université Lumière-Lyon-II, docteur honoris causa de l’université libre de Bruxelles et de l’université de Montréal. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier, « Éducation : rallumons les Lumières » est paru en août 2024.

FsC 500 Philippe Meirieu

Comment expliquez-vous la montée de l'autoritarisme et de la méritocratie dans la société ? 

Il faut inscrire ce mouvement dans notre histoire pour bien le comprendre. La seconde moitié du 20e siècle a été marquée, dans un pays comme la France, par le triomphe des revendications individuelles contre les injonctions religieuses et sociétales : chacun et chacune a revendiqué le droit de choisir sa vie… et il faut se réjouir de cette évolution évidemment. C’est un grand pas vers une démocratie authentique ! Mais cela peut faire peur car il n’y a plus de certitude qui s’impose à nous. Et puis, ce début du 21e siècle a vu s’effondrer bien des idées jusque-là largement admises : le vrai progrès ne peut plus être confondu avec la croissance économique, l’autorité ne peut plus être identifiée au patriarcat et l’Occident n’est plus vraiment le centre du monde. Face à ces évolutions, nous assistons à une montée de ce qu’il faut appeler, au sens propre, des « réactionnaires », de celles et ceux qui ne supportent pas ces évolutions, veulent revenir en arrière et prônent une « révolution conservatrice », parfaitement compatible, au demeurant, avec le néolibéralisme économique. En matière éducative, cela se traduit par le « retour »… des (faux) fondamentaux, de la (fausse) autorité, du (pseudo) mérite. Mais aussi par le primat de la sanction, de la répression et de l’exclusion sur la prévention, la formation et le soin. On préfère miser sur la peur et proposer des solutions à court terme plutôt que de s’attaquer aux causes véritables de nos difficultés que sont les inégalités, la déresponsabilisation et la prolétarisation des acteurs sociaux… 

Quelle vision portez-vous pour répondre aux défis de l'époque ? 

Ces défis sont immenses : défi démocratique et défi écologique, défi face à la montée des communautarismes sectaires et au contrôle de l’humain par les industries du numérique… Et, face à eux, il faut refuser de céder aux sirènes des nostalgiques d’un passé fantasmé. Nous devons parier sur l’éducation et rester fidèles aux idéaux des Lumières : tous les êtres sont éducables et à tous les problèmes, il faut chercher, aussi et toujours, une réponse par l’éducation. C’est tout le contraire d’une politique qui supprime des postes d’éducateurs de rue et multiplie les mesures d'enfermement des jeunes, qui stigmatise les parents prétendument « démissionnaires » et réduit les subventions aux associations qui les accompagnent… En matière scolaire, impossible de réduire l’éducation à l’acquisition de savoir-faire mesurés par des tests standardisés. N’oublions jamais que les véritables fondamentaux de l’école républicaine sont l’émancipation et la solidarité. Refusons que l’école soit régie par une « obligation de résultat » indifférente aux inégalités sociales et que ses acteurs soient caporalisés, réduits à de simples exécutants. On ne fera pas des êtres libres avec des enseignants assujettis, comme l’expliquait déjà Ferdinand Buisson. 

« Les véritables fondamentaux de l’école républicaine sont l’émancipation et la solidarité »

Quels leviers actionner pour construire cette alternative ? 

Il faut retrouver le sens d’un véritable « service public », une institution structurée par le souci du « bien commun » éducatif, qui ne cherche pas seulement à satisfaire des « consommateurs d’école » mais prépare tous les enfants à participer à une société plus juste et plus lucide, plus fraternelle et plus émancipée. Pour cela, il faut basculer de « l’obligation de résultat » à « l'obligation de moyens » : donner vraiment « plus et mieux à ceux qui ont moins ». Nous en sommes très loin ! Il faut aussi construire une véritable alliance avec les parents : rien n’est plus catastrophique pour l’école publique que la manière dont les gouvernants jouent les parents contre les enseignants. Si nous ne renversons pas ce mouvement, nous risquons gros.

Quel rôle peut jouer la pédagogie dans votre projet ? 

Un rôle essentiel. À chaque instant, dans chaque classe, on peut aider chaque élève à accéder à une pensée critique, qui remet en question ses représentations et ses préjugés. On peut aussi privilégier la coopération plutôt que la concurrence. L’école ne peut pas tout à elle toute seule, mais elle joue un rôle fondateur. Les enseignants sont les chevilles de la démocratie.

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