Rejouer la récré

Mis à jour le 16.09.21

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La cour de récréation se réinvente autour de réflexions éducatives et sociales.

Après des siècles d’immobilisme, la cour de récréation se réinvente autour de réflexions éducatives et sociales. La crise sanitaire qui a privé les enfants d’interactions a souligné, en creux, l’importance de cet espace de socialisation.

Conçue depuis le XVe siècle comme un simple espace extérieur destiné à permettre aux étudiants et étudiantes de décompresser entre les temps d’apprentissage, la cour de récréation a longtemps été un espace immuable dans son organisation et sa fonction. Aujourd’hui, ce cadre - normalisé dès 1866 par le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy - ne correspond ni aux besoins des enfants, ni aux aspirations des enseignants et enseignantes qui considèrent « la récré » comme un véritable enjeu pour l’éducation et la socialisation des élèves. Un enjeu que la crise de la Covid-19 a mis un peu plus en évidence. Les difficultés inédites imposées par les protocoles sanitaires ont limité les échanges entre élèves et ont pu perturber leur évolution.
Face à ces nouvelles contraintes et aux réflexions croissantes sur le climat scolaire, nombreux sont les PE, les chercheurs et chercheuses qui s’interrogent sur la forme et le contenu de la récréation. Selon Catherine Frachon, conseillère pédagogique départementale, la récréation doit demeurer « une pause entre les temps de concentration et d’efforts qui offre des moments de défoulement, de jeu, de créativité, d’autonomie ». Si la récréation « contribue au bien-être, à la santé et au développement cognitif des élèves », elle est également « un temps de sociabilité avec mise à l’épreuve des règles du bien vivre ensemble ».

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Un lieu de socialisation

Une idée partagée par Julie Delalande, anthropologue et professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Caen. « Dans la cour de récréation, l’enfant se construit comme être social appartenant à un groupe particulier. Sa principale motivation est de trouver sa place. En même temps, elle est l’espace d’une culture enfantine. Les enfants appartiennent à un groupe social qui a ses codes et ses références, un ensemble de savoirs et de savoir-faire qui le caractérise », observe-t-elle. Dès lors, il convient d’étudier de plus près la forme que doit prendre cet espace éducatif essentiel où le jeu, la détente, la créativité et les apprentissages sont étroitement imbriqués. D’autant que les études soulignant les discriminations de genre dans les cours de récré se multiplient. Ainsi une étude 2018 de l’UNICEF notait que les filles laissaient la place et l’espace aux garçons ou que peu d’amitiés mixtes s’initiaient. Des constats partagés par la géographe du genre Edith Maruéjouls qui a mis en valeur les mécanismes à l’œuvre de ces premières inégalités d’accès à l’espace public ou aux loisirs selon le genre Discriminations, tensions, violences… Ce sont précisément les difficultés que cherchent à surmonter sur le terrain les équipes pédagogiques. Pour Karim Bacha, directeur de l’école Samira-Bellil, à l’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), il s’agit d’abord de repenser la récréation sans la normaliser, ni la structurer, mais en la considérant comme un espace de liberté et d’autonomie pour les élèves. À cet égard, l’expérience lancée en 2015 sur ce groupe scolaire de 9 classes relevant de l’éducation prioritaire s’est avérée concluante. « Le conseil des maîtres et maîtresses a décidé de passer de deux à trois groupes de récréation réduisant ainsi la jauge de 90 à 60 élèves, témoigne le directeur. Ce groupe inter-cycles et cet espace libéré pour chacun permettent de vivre trois temps de récréation sans quasiment aucun conflit ».

Des enseignant.es sources d'innovation

Même démarche et même succès observés à l’école de La Rivière-Saint-Sauveur (Calvados) où la pandémie a conduit l’équipe à repenser l’utilisation des deux espaces de récréation librement investis par 115 élèves avant la crise sanitaire. Constatant que les enfants privés d’interaction se sentaient subitement désœuvrés, les PE ont équipé la cour d’une malle remplie de matériel propre à stimuler l’adresse et l’imagination. « J’ai moins besoin d’intervenir pour réguler la récré et j’observe beaucoup de créativité dans l’utilisation des jeux », souligne Léa, enseignante en petite section.

Officiellement chargée de la surveillance de la cour pendant les périodes de récréation, l’équipe pédagogique ne se contente pas d’endosser le rôle de « gendarme ». « La responsabilité de l’équipe enseignante n’est pas seulement de surveiller mais d’offrir aux élèves un environnement sécurisé et stimulant en pensant cette récréation,[…] précise Catherine Frachon […] L’alternance des jeux, la mixité, l’aménagement, les besoins des uns et des autres sont interrogés. S’ensuivent des propositions de réaménagement qui permettent à l’école de solliciter le conseil d’école, la commune et, en fonction d’un budget, voir ce qui est réalisable ou pas ».

“Le jeu, la détente, la créativité et les apprentissages sont étroitement imbriqués.”

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Un espace masculin

Les recherches en sciences sociales ont mis à jour les disparités d’appropriation et de distribution de l’espace lors des récréations. 90% de la cour occupe par 10% des élèves, au détriment principalement des filles. Selon la géographe du genre Edith Maruéjouls, les cours « sont aménagées de façon à ce que les filles – et les enfants non conformes, par exemple ceux en surpoids – ne se sentent pas légitimes à occuper l’espace*. » En cause principalement le vaste espace central pour jouer au ballon qui relègue filles ou garçons
moins sportifs dans les coins. «Dans l’esprit des garçons comme des filles, le terrain de foot crée une échelle de valeurs de ce qui est important, à savoir les garçons », les élèves reproduisant un processus de socialisation inégalitaire.  Actuellement, des réflexions nouvelles s’engagent, avec la conscience d’une responsabilité éducative de lutte contre les inégalités liées au genre, et des équipes tentent d’agir sur les (dés)équilibres établis.
*Le Monde «Dans les cours d’école, les filles sont invisibilisées», 16 sept 2018.

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