Résoudre le problème des maths
Mis à jour le 16.12.20
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L’enseignement des mathématiques à l’école primaire est depuis longtemps matière à débats. Les mauvais résultats récurrents de la France aux évaluations internationales n’y sont pas étrangers. Et si on se tournait vers la recherche et la pédagogie ?
« Comment j’ai détesté les maths ». Dans un documentaire de qualité sorti en 2013, Olivier Peyron donnait la parole aux élèves de tous âges et de tous niveaux. Il montrait en creux qu’au-delà du rejet épidermique de beaucoup pour une discipline jugée ennuyeuse et inutile, les mathématiques étaient indispensables et pouvaient être passionnantes. Faire voler des avions, relativiser les chiffres d’une épidémie, concevoir les plans d’une charpente... Qui a dit que les maths ne servaient à rien ?
Certainement pas Valérie Barry, agrégée de mathématiques, maître de conférence en sciences de l’éducation (UDA 2013), Rémi Brissiaud, professeur de mathématiques, maître de conférence en psychologie cognitive (UDA 2011, 2015 et 2019), Joël Briand, maître de conférences à l’Université de Bordeaux (UDA 2014 et 2018), Denis Butlen, professeur didactique des mathématiques à l’Université Cergy-Pontoise (UDA 2016), Michel Fayol, professeur émérite à l’Université Clermont (UDA 2012), maître de conférence en didactique des mathématiques membre de l’Ifé (UDA 2010), chercheurs, chercheuses et universitaires venus à l’Université d’automne décrypter les ressorts de l’apprentissage des maths dans le premier degré et aider enseignantes et les enseignants à dépasser appréhensions et présupposés liés à la discipline. Elles et ils le disent tous et toutes : un élève nul en maths, ça n’existe pas. Commencer les apprentissages du bon pied dès la maternelle, faire des maths un jeu en utilisant les problèmes, ne pas laisser la géométrie de côté... Quelques unes des pistes pour sortir la France de la queue du classement des évaluations internationales, mais surtout pour donner à chaque citoyenne et citoyen les éléments de culture scientifique nécessaires à la compréhension du monde
NULS EN MATHS ?
Sur la période 2014-2019, les résultats des élèves français en mathématiques à la sortie de l’école primaire sont en baisse. De surcroît, la discipline se révèle toujours plus discriminatoire et inégalitaire. Les filles y réussissent moins bien que les garçons et les élèves des catégories sociales défavorisées sont pénalisés. Cerise aigre sur le gâteau, les mathématiques sont perçues comme de moins en moins attractives par les élèves. Un camouflet pour un ministre de l’Éducation nationale partisan du recentrage sur les fondamentaux, à l’origine en juin 2018 d’un plan mathématiques volontariste sous l’égide du mathématicien Cédric Villani et de l’inspecteur général André Torossian.
Pour autant, le constat de difficultés importantes de nos élèves en maths n’a pas attendu Jean-Michel Blanquer. Il ressurgit comme un marronnier à chaque évaluation internationale. Côté explications, de nombreux observateurs se rejoignent sur la concordance d’un certain nombre de facteurs. La formation des professeurs en premier lieu. Dans le premier degré, enseignantes et enseignants sont rarement issus d’un parcours scientifique et l’année de formation théorique ne suffit pas à les préparer efficacement tandis que la formation continue rétrécit comme peau de chagrin. En cause également, les changements fréquents au niveau des programmes et directives ministérielles qui se superposent de façon parfois incohérente. Les controverses pédagogiques incessantes ne font rien
pour arranger l’affaire, des mathématiques « modernes » à la méthode de Singapour, de l’automatisation des procédures à la construction des savoirs par l’apprenant. En dépit de ces difficultés et de façon paradoxale, les mathématiques demeurent une des clés pour accéder aux parcours scolaires et universitaires les plus recherchés, créant une pression sociale bien éloignée des objectifs éducatifs de la discipline.
Du côté de la recherche
La critique est facile comme chacun sait mais que faut-il faire ? Les chercheurs et formateurs en mathématiques Rémi Brissiaud, Joël Briand ou Denis Butlen ne sont pas avares de propositions pour changer les maths à l’école.
Mieux former
Les carences de la formation initiale et continue sont particulièrement préjudiciables dans un domaine qui représente 20 % du temps d’enseignement aux élèves. Pour Joël Briand, « on voit arriver sur le terrain des jeunes souvent démunis et qui ont pour premier réflexe d’ouvrir un manuel de maths et d’aller à l’essentiel sous la pression des évaluations. Mais en maths, emprunter des raccourcis ne fait pas aller plus vite, il faut construire les concepts. Il est nécessaire de mieux mettre à la disposition des enseignants du premier degré les outils de pensée et d’action apportés par les nombreuses recherches en didactique sur l’enseignement des mathématiques à l’école primaire ». Une vision complétée par Denis Butlen : « à l’école primaire, la formation nécessaire doit porter moins sur les contenus, que les professeurs maîtrisent, que sur les enjeux d’enseignement, sur la médiation à apporter et la capacité à analyser le travail des élèves. »
Question de méthode ?
Comme en lecture, les querelles de chapelle font flores et brouillent la réflexion des enseignants sur ce qu’ils doivent proposer aux élèves. Méthode de Singapour, manipulation montessorienne, manuel miracle ? Nos chercheurs nous aident à y voir plus clair. Joël Briand fait la distinction entre des situations d’apprentissage « de type transmissif avec un cours, des exercices d’application, où l’élève apprend par entraînement, par imitation » qui ne fonctionnent, selon lui, qu’avec les bons élèves et les situations où l’on pose un problème aux élèves. Mais, il ne s’agit pas que l’élève découvre tout par lui-même. « C’est tout le contraire. Le dispositif didactique est très précis : la consigne définit un but à at teindre, on vérifie que l’élève peut s’engager dans la résolution du problème sans disposer de la connaissance visée. » Quant à la manipulation, ce n’est pas la panacée universelle selon le chercheur. « L’idée communément admise que, pour faire des mathématiques, il faut manipuler est porteuse de graves malentendus. Si les questions posées par les élèves se résolvent par du matériel, alors il n’y a aucune raison pour s’investir dans des écrits, des tracés, pour conceptualiser. » Son collègue Rémi Brissiaud précise : « les premiers points clés préconisent d’insister à l’école sur ce que les enfants n’apprendraient pas s’ils ne la fréquentaient pas : ils apprendraient que 137 = 100 + 30 + 7 (ça s’entend !) mais ils n’apprendraient pas que c’est aussi 13 dizaines + 7, ils n’apprendraient pas précocement à trouver le résultat de 12 – 9 par une stratégie de complément (le résultat est 3 parce que 9 + 3 = 12). »
Echecs en maths ?
Pour Joël Briand, « si des élèves sont en difficulté, c’est d’abord parce que l’enseignement des mathématiques est en difficulté. Dans les faits, les élèves en échec uniquement en mathématiques ne sont pas nombreux.» Denis Butlen va même plus loin : « on a minoré la possibilité qu’offrent les disciplines scientifiques de réconcilier les élèves avec l’école en général car en primaire, ce ne sont pas les disciplines qui leur font peur ou dans lesquelles, ils déclarent avoir du mal ». Comment les aider quand ça coince ? En tenant compte que « par manque d’expérience ou d’explicitation dans leur milieu, les élèves en difficulté ont du mal à déterminer les enjeux des situations qu’on leur propose. Par exemple, dans le calcul mental de 32x25 qui a l’air complexe mais peut se résoudre facilement par (32 = 8x4)x25 donc 800, c’est l’exploration des nombres qui se joue et pas un calcul en soi. » Joël Briand ajoute que « penser que lorsqu’un élève est en difficulté, il est plus profitable pour lui de rabattre son aide sur l’acquisition de mécanismes est contre-productif », il faut au contraire « confronter ces élèves à des situations sur lesquelles ils peuvent avoir petit à petit prise, en construisant des savoirs scolaires. »
Maths en mater : le retour du nombre
Faut-il faire des mathématiques en maternelle ? Clairement oui, répondent Rémi Brissiaud et Michel Fayol. Mais la réponse n’a pas toujours été aussi tranchée.
Il y a cinquante ans, une réforme aujourd’hui presque oubliée semait un vent révolution dans les écoles françaises. Avec les mathématiques modernes, on abandonnait tout apprentissage des nombres à l’école maternelle. Après une quinzaine d’années d’émois en tout genre et de débats pédagogiques furibards, l’institution réhabilitait l’enseignement du comptage en 1987 sous la pression des défenseurs du traditionnel « lire-écrire-compter », fondateur de l’école laïque. Mais pour Rémi Brissiaud, le mal était fait : « l’enseignement du comptage-numérotage a un effet délétère sur les élèves les plus fragiles… son enseignement à l’école maternelle est le pire choix pédagogique qui soit… » Qu’est-ce que le comptage-numérotage ? C’est la connaissance de la comptine numérique
que très souvent les enfants apprennent déjà à la maison dès l’âge de 3 ans et qu’ils utilisent spontanément pour compter des collections d’objet. Exemple pour compter 5 billes, l’enfant va pointer les billes en disant 1, 2, 3, 4, 5. Problème : si l’on rajoute une bille, l’enfant va à nouveau utiliser la comptine pour dénombrer : 1, 2, 3, 4, 5, 6 sans utiliser la relation mathématique 5 et 1, ça fait 6. Pour Rémi Brissiaud, le rôle de l’école maternelle est de consolider ce qu’il appelle le comptage-dénombrement en systématisant les situations d’apprentissage où l’on découvre par exemple que 4, c’est 3 et 1 mais aussi 2 et 2, mais aussi 5-1…
Manipulation et jeu
Même position chez le spécialiste de psychologie cognitive Michel Fayol qui précise que « les enfants mettent très longtemps pour faire la différence entre les quantités auxquelles renvoient 1 et 2 et 3 ou 4 ou 5. Cela suggère qu’il y a de façon sous-jacente des obstacles importants. Si l’école maternelle doit faire quelque chose, elle doit le faire avec précision, avec lenteur et avec une grande sensibilité au développement des enfants. » Ce qui signifie, à cet âge, recourir aux modes naturels d’apprentissage du jeune enfant, à savoir la manipulation et le jeu. Pour Michel Fayol, « il faut que nous soyons capables de mettre au point des activités qui aient pour les enfants un caractère ludique, intéressant et en même temps qui permettent aux enseignants de viser la systématisation ». Rémi Brissiaud, qui a consacré une partie de sa vie professionnelle à ce combat pour la construction du nombre chez les jeunes enfants, a (provisoirement) gagné la partie. Le comptage-dénombrement est réapparu en 2016 dans les programmes de cycle 1. Le matériel attractif et ludique qu’il a conçu : les Noums devraient envahir pacifiquement un certain nombre de classes maternelles.
Remettre la géométrie au premier plan
La géométrie à l’école, pas si facile… pour les enseignants ! Quelques pistes suggérées par deux spécialistes : Sophie Soury-Lavergne, membre de l’Ifé, et Valérie Barry, maîtresse de conférences en sciences de l’éducation.
À l’époque révolue des évaluations nationales de CE 2, les faibles résultats des élèves en géométrie laissaient apparaître des difficultés récurrentes à enseigner efficacement cette discipline. Difficile d’avoir un état des lieux précis aujourd’hui mais il y a fort à parier que le recentrage actuel sur les fondamentaux et l’accent mis sur les quatre opérations portés par le ministre actuel ne concourent pas à améliorer cet enseignement. Pour Sophie Soury-Lavergne, « la géométrie est peu investie à l’école primaire car les enseignants se sentent démunis dans leurs pratiques. En observant les cahiers d’élèves, on constate qu’il s’agit souvent de mettre des mots sur des objets présentés graphiquement. Cette façon d’aborder la géométrie pose problème car l’apprentissage ne se réduit pas à poser des mots sur des objets ». La géométrie est pourtant une discipline nécessaire aux apprentissages pour l’agrégée de mathématiques Valérie Barry : « Mesurer des longueurs, évaluer des distances, tracer des schémas, se repérer sur un plan ou dans un espace environnant, tout cela fait partie des actes quotidiens de tout-un-chacun. Comme la géométrie traverse la vie sociale, il est important qu’elle ait une place réelle à l’école dès la maternelle ».
Outil informatique
L’enseignante en INSPE propose aux PE de prendre en compte trois types de besoins d’apprentissage dans leurs séances : « Le besoin topologique en lien avec la disposition des objets de l’espace et du plan, le besoin projectif en lien avec la notion de ligne, le besoin euclidien qu’on peut associer aux formes et aux transformations qu’on applique à celles-ci : rotations, translations, symétries. » Des préconisations reprises par Sophie Soury-Lavergne qui estime que « c’est à partir des connaissances spatiales que doit se bâtir l’apprentissage en géométrie ». Ainsi par exemple, on apprendra aux élèves, qui ne le voient pas spontanément , qu’un carré est identique s’il est posé sur un carré ou sur un sommet. Pour cela, Valérie Barry propose « des activités qui passent par le corps, l’exploration visuelle de l’espace environnant (recherche d’angles droits ou de cercles par exemple), le toucher par le doigt (côté), la paume (surface) ou la main (volume) ». Sophie Soury-Lavergne suggère, elle, d’utiliser l’outil informatique : « les figures peuvent être manipulées beaucoup plus qu’à partir d’un simple dessin sur la feuille. C’est un moyen pour les élèves d’expérimenter, d’agir sur les formes tout en maintenant leurs propriétés »