Talents hauts et ses éditrices

Mis à jour le 28.12.23

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Talents hauts, des éditrices dressées contre les stéréotypes et les discriminations

Justine Haréest éditrice de  romans chez Talents Hauts. Après des études d’histoire à Saint-Étienne, Justine Haré effectue un stage aux éditions Talents Hauts en 2011 au cours de son master Métiers du livre, à Grenoble. Apprenant son métier aux côtés de Laurence Faron, fondatrice de cette maison d’édition, elle est d’abord chargée de la communication et de la presse, puis assistante d’édition et ensuite, éditrice romans en charge des collections pour adolescent·es et des collections bilingues.

FsC 494 UDA 2023 Justine Haré©Bilal-Naja

Quelle est votre ligne éditoriale ? 

Comme l’indique notre slogan, notre ligne est de « Bousculer les idées reçues ». Cela veut dire que nous publions de beaux livres avec
de belles histoires qui font rêver ou penser, écrits par de bons auteurs et autrices et illustrés avec talent, mais avec la volonté de lutter contre les discriminations. L’idée, en tant qu’éditrices, est d’être attentives aux stéréotypes qui se glissent partout, dans les manuscrits
comme dans les images, de donner à voir des personnages que l’on a moins l’habitude de voir en littérature de jeunesse (des garçons sensibles, des filles intrépides) et de les représenter dans toutes leurs variétés : qu’ils ne soient pas forcément minces, blancs, grands
ou musclés, qu’il y ait des enfants racisés, gros ou avec un handicap… qu’ils correspondent à la société, à l’environnement dans lequel les lecteurs et lectrices évoluent. La lutte contre les discriminations peut être le sujet du livre, mais passe aussi par le fait de proposer
simplement des histoires exemptes de stéréotypes dans lesquelles les personnages non-stéréotypés, racisés, vivants dans des familles qui ne soient pas traditionnelle, soient vus comme des personnages banals.

En quoi la littérature jeunesse peut-elle jouer un rôle ? 

La littérature jeunesse peut jouer un grand rôle dans la culture et  l’éducation des enfants dès la toute petite enfance, tout comme l’école, l’accompagnement périscolaire, les familles, la bibliothèque. Chez Talents Hauts, nous avons d’ailleurs créer la collection Badaboum qui s’adresse aux tout-petits et toutes-petites car nous estimons que même chez les moins de trois ans, les images et les discours ne sont pas neutres et qu’il faut être vigilantes quant à ce qu’on met entre les mains des bébés aussi. Les livres pour enfants sont prescrits par l’école mais aussi par la famille, les personnels de garde, et, dans l’esprit des parents et des enfants, tout ce qui est dans le livre a une autorité très forte. Les enfants s’identifient au héros ou à l’héroïne du livre, ont envie de lui ressembler et l’érigent parfois comme modèle, il est donc important de veiller aux représentations qu’il ou elle véhicule, par exemple. Le livre est aussi un support de la parole pour l’enfant, c’est pourquoi il serait essentiel de former les personnels de l’animation, de l’éducation et de
médiation.

“Les enfants s’identifient au héros ou à l’héroïne du livre, ont envie de lui ressembler
et l’érigent parfois comme modèle, il est donc important de veiller aux représentations qu’il ou elle véhicule".

Quels sujets aborder avec les enfants et comment s'y prendre ? 

Tous les sujets peuvent être abordés, la seule limite est la façon dont ils sont traités. Il est important de traiter des sujets difficiles, comme l’homophobie, le racisme ou les violences, pour que les enfants trouvent dans le livre un espace de réflexion et un accompagnement. La lecture peut permettre aux enfants de prendre la parole, poser des questions, se confier sur des sujets qui n’auraient peut-être pas été envisagés autrement. Nous avons fait le choix d’aborder des sujets sensibles dès le plus jeune âge. Ainsi, nous pouvons parler du consentement dans un album pour les moins de trois ans (Chat !), de la question des violences conjugales
(Elle a dit non) ou de l’inceste (Je ne suis pas le doudou de mon papa) dans des romans junior. La façon d’aborder un sujet sera différente selon l’âge et la maturité des enfants, c’est la responsabilité des auteurs et des autrices mais aussi de la maison d’édition, l’important étant de respecter les lecteurs et lectrices, de le faire sans voyeurisme ni complaisance, avec justesse et en se plaçant à leur hauteur.

Selon vous, quelle place doit avoir la littérature à l'école ? 

Elle devrait être centrale. La formation des PE n’inclut pas forcément la littérature jeunesse mais on sait qu’elle est utilisée et utile en classe. Faire goûter la littérature jeunesse aux enfants, c’est leur donner envie de lire ensuite par eux-mêmes. Sa présence à l’école est essentielle pour que tous les enfants puissent y avoir accès, notamment quand il y a peu ou pas de livres à la maison. La littérature jeunesse peut également être le point de départ de réflexions et de débats en classe. D’ailleurs, dans cette optique, nous proposons aux enseignants des outils pour les accompagner dans l’exploitation de nos livres (fiches pédagogiques, exposition, bibliographies...). Nous avons également développé des titres au format « ePub » afin de rendre nos livres accessibles aux élèves malvoyants ou dyslexiques. Ce format leur permet d’adapter les textes à leurs difficultés et de pouvoir suivre la lecture comme les autres élèves de la classe.

“La lecture peut permettre aux enfants de prendre la parole, poser des questions,
se confier sur des sujets qui n’auraient peut-être pas été envisagés autrement”

Avez-vous une relation particulière avec les PE ?

Nous travaillons régulièrement avec des enseignants et des enseignantes. Nous faisons des interventions en classe, une enseignante fait partie de notre comité de lecture, et nous demandons parfois conseil à des enseignantes sur des manuscrits, notamment pour vérifier s’ils sont adaptés au lectorat visé. Nous travaillons aussi avec des personnels enseignants ou des conseillères pédagogiques pour élaborer les fiches pédagogiques que nous proposons pour certains livres, ou pour concevoir des expositions. Malheureusement, en dehors de ces contacts ponctuels, nous avons peu d’occasion de rencontrer les PE, d’échanger et de mettre en place des actions communes. Les auteurs, autrices, illustrateurs et illustratrices se rendent aussi souvent en classe pour animer des ateliers ou des
discussions autour de leur travail. 

Quel rôle peuvent jouer les parents dans la relation de l'enfant aux livres ?

Pour que les enfants aient une relation avec le livre, l’accompagnement de l’adulte est une médiation incontournable. Le parent ou plus largement l’adulte, est celui qui lit les premières histoires, achète les livres ou amène l’enfant à la bibliothèque. Malheureusement, il n’y a pas de livres dans toutes les familles et elles ne sont pas toutes en mesure de lire des livres à leurs enfants.
Comment faire parvenir des livres dans les familles où les parents eux-mêmes ne lisent pas ou ne se sentent pas autorisés à le faire ou ne sont pas suffisamment à l’aise avec l’écrit, la lecture ou encore ne parlent ou ne lisent pas bien le français ? Il y a bien sûr les bibliothèques, mais tout le monde ne s’autorise pas non plus à franchir leurs portes. Dernièrement, nous avons développé une collection de livres audio « Des livres tout haut » qui peut également être une façon de toucher les familles moins à l’aise avec l’objet livre. Le plaisir pris à l’écoute peut les amener à avoir envie de découvrir le livre.