En finir avec les idées fausses sur l'école

Mis à jour le 20.11.24

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Louise Tourret, journaliste, productrice de l’émission « Être et Savoir » sur France Culture et spécialiste des questions d’éducation a été interviewée par La FSU-SNUipp. A découvrir, en avant première, avant l'arrivée dans les écoles du 23ème Fenêtres sur cours spécial Université d'automne.

VOUS ÊTES JOURNALISTE SPÉCIALISTE D’ÉDUCATION, POURQUOI CE CHOIX ?

Avant d’être journaliste, j’ai fait des études de géographie et j’ai écrit mon mémoire de master sur les effets de la carte scolaire, sur les habitudes des adolescents au collège, dans trois communes de banlieue. En 2009, France Culture a voulu relancer une émission sur l’éducation et la direction m'a proposé de la produire. J’ai toujours eu un vif intérêt pour ces questions qui touchent l’ensemble de la société.

L’éducation est un sujet noble à mes yeux, important s'il en est. Je ne cesse de constater que des livres stimulants paraissent, ce qui nourrit la programmation de l'émission où j'invite régulièrement des enseignants. L’intérêt pour ces questions est sans cesse renouvelé. En animant “Être et savoir”, je découvre et j’étudie des alternatives aux discours récurrents sur l’éducation et l'école. Par exemple, la question de l’organisation du temps scolaire ou encore les pédagogies dites alternatives sont autant de thèmes qui animent les débats pour une école plus égalitaire.

VOUS AVEZ ÉGALEMENT ENSEIGNÉ QUELQUES MOIS EN COLLÈGE, QUELLES LEÇONS EN TIREZ-VOUS ?

Il est toujours intéressant de mieux connaître un sujet de l’intérieur et il fut très facile de se faire embaucher comme contractuelle ! Même si mon expérience a été limitée, je l'ai menée avec grand sérieux et j’ai ressenti toute l’intensité que revêt le métier quand on débute : les heures de cours, le temps passé à préparer, la prise en compte de tous les élèves, le travail avec les collègues, etc. Je pensais tout le temps aux élèves, à la classe. J'ai eu de la chance, en quelque sorte, qu'une grande grève agite Radio France au même moment, cela m'a permis d'exercer pleinement en tant qu’enseignante, le métier est si chronophage ! Cette expérience a été humainement très riche. Et aussi modeste soit-elle, elle m’a permis de mieux comprendre les conditions de travail du métier. J’ai aussi pu vivre les problèmes de manque de locaux, de personnels, de moyens pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, la lourdeur administrative…

« Tous les élèves peuvent apprendre et à tous les âges »

POURQUOI CHOISIR DE DÉCONSTRUIRE LES IDÉES REÇUES SUR L’ÉCOLE DANS VOTRE DERNIER LIVRE ?

Tout propos sur l’école est situé et chaque personne a un avis forgé à partir de ses idées, de ses expériences personnelles, de ses convictions et de son rapport à l’humain. C’est le cas, par exemple, de notre rapport à l’autorité, pour lequel se joue notre sensibilité tant personnelle que politique. Le livre permet de réfléchir et de questionner ces représentations avec de nombreuses références à des documents et des données objectives, sourcées, regroupées grâce au travail journalistique. 

Ainsi, sur le salaire des enseignants, même si on précise que d’autres professions éducatives sont concernées, il s'avère impossible de soutenir qu'ils sont à la hauteur de la difficulté et des responsabilités du métier. Si enseigner était aussi simple que certaines personnes le prétendent, il y aurait plus de candidats et candidates pour l’exercer. D’autres sujets méritent un réel questionnement, comme celui de la baisse de niveau des élèves. Même si on peut l’objectiver avec des évaluations, dénigrer l’école ne construit pas une réponse. Réfléchir à un système éducatif qui implique tous les élèves pour les faire progresser, oui.

PARMI CES IDÉES REÇUES, “CERTAINS ENFANTS NE SERAIENT PAS FAITS POUR L’ÉCOLE”, QUE POUVEZ-VOUS EN DIRE ?

Tous les élèves peuvent apprendre et à tous les âges. C’est important de rappeler ce principe d’éducabilité. Il fut mis en avant par les pédagogues de la constellation de l'éducation nouvelle de Montessori à Freinet. Ces derniers ont montré par leurs recherches et leur pratique que des enfants considérés comme "déficients" à l’époque pouvaient apprendre et progresser si leurs besoins étaient pris en compte et les pédagogies adaptées. 

Ce rappel est d'autant plus important dans une période où les politiques ont tendance à vouloir tout normer. La solution à l’échec scolaire est aussi à chercher dans l’organisation de l’école, pour s’occuper de tout le monde et faire progresser chacun. La baisse d’effectifs dans toutes les classes est un des premiers leviers. Penser la manière de prendre en compte tous les élèves implique d’avoir du temps dédié pour se former mais aussi d’avoir du temps à consacrer aux élèves sans être parasité par des tâches administratives.

« Il faut interroger la logique d’un système scolaire qui laisse des élèves sur le bord du chemin. »

VOUS VOUS MÉFIEZ ÉGALEMENT DE L’IDÉE SELON LAQUELLE LA COMPÉTITION FERAIT PROGRESSER LES ÉLÈVES, POURQUOI ?

La compétition crée des gagnants mais elle crée surtout des perdants. Donc, il faut interroger la logique d’un système scolaire qui laisse des élèves sur le bord du chemin. Le projet de l’école ne peut pas être d’avoir quelques gagnants ou même d’avoir plus de mixité sociale parmi les élèves qui fréquenteraient les filières perçues comme les plus prestigieuses. L’école doit faire accéder tout le monde à des parcours intéressants, valorisants et émancipateurs. 

Je constate que la compétition néolibérale par les classements nationaux et internationaux s’accorde avec le projet d’élitisme républicain, avec des très bonnes classes pour certains, et un sentiment d’échec pour d’autres, y compris pour des élèves qui sont en réussite relative. Ce sentiment de ne pas avoir suffisamment réussi est extrêmement délétère. Les politiques ne prennent pas en compte cet état qui crée un sentiment de défiance, mais aussi un sentiment de rejet des institutions. La coopération devrait être un moyen mais aussi une finalité de l’école parce que c’est la manière de penser la relation éducative la plus cohérente avec les principes de la démocratie.

DANS VOS ÉMISSIONS OU VOS OUVRAGES, VOUS DONNEZ LA PAROLE À DES EXPERT·ES ET DES CHERCHEUR·ES, QUELS SONT LEURS APPORTS ?

S'il faut chercher l’information à la source, valoriser le travail et la réflexion au long cours me paraît essentiel. La parole d’une personne qui a travaillé longuement sur un sujet, produit des études, compilé des données - que ce soit des données d’enquêtes ou des données statistiques - a de la valeur. Parfois, ce sont des chiffres produits directement par l’Education nationale, comme ceux de la Depp*. De nombreuses données et analyses sont disponibles sur l’école, au niveau national et international. L’expertise ne vient pas de personnes qui se sont déclarées compétentes sur un sujet et qui ont décidé d’en parler plus souvent que les autres. Elle vient en partie d’universitaires qui font un véritable travail de réflexion et d’étude du terrain. Mais elle vient aussi des enseignants à qui je donne souvent la parole dans mes émissions. Ce sont des experts de terrain. Ils font remonter une partie de la réalité dont on ne peut pas se passer. Recherche et terrain sont imbriqués et l’une ne va pas sans l’autre.

« Il ne suffit pas d’une réforme et parfois les réformes ne sont pas suivies d'effets »

COMMENT RENFORCER LE LIEN ÉCOLE-FAMILLE, NOTAMMENT POUR LES FAMILLES LES PLUS ÉLOIGNÉES DE LA CULTURE SCOLAIRE ?

C’est un lien qui n’est pas naturel et qu’il faut travailler. Aménager les possibilités de se rencontrer est essentiel pour une communication réussie, tout comme l’importance de rendre l’école explicite pour se comprendre et permettre aux parents de s’impliquer dans la vie scolaire de leurs enfants. Ces temps permettent de créer un lien de confiance qu’il convient d’installer dès l’école maternelle. Si les parents se sentent à l’aise et légitimes à suivre et à s’impliquer dans la scolarité de leurs enfants, ces derniers se sentiront assez sécurisés pour s’autoriser à entrer dans les apprentissages. Il existe diverses manières de s’investir avec des degrés d’autonomie plus ou moins développés. 

Mais ce qui importe est de pouvoir être en accord avec l’école dans un objectif de coéducation et non pas en opposition, de s’écouter et tenir compte les uns des autres, professionnels comme parents et enfants. Enfin, certains enfants ne bénéficient peut-être pas d'attention et de suivi chez eux, pas seulement dans les milieux populaires, et c'est aussi le travail de l'école de les accueillir.

L’ÉVOLUTION DE L’ÉCOLE PEUT-ELLE RELEVER UNIQUEMENT DE CHOIX POLITIQUES

L’école accompagne les changements dans la société. Par exemple, la massification est un mouvement que la politique scolaire a accompagné parce que la société a eu besoin de plus de personnes diplômées pendant les Trente Glorieuses. Mais il ne suffit pas d’une réforme et parfois les réformes ne sont pas suivies d'effets (parce qu'elles n'ont pas de sens, parce qu'elles sont balayées par la suivante à un rythme accéléré). Des travaux d'historiens comme Antoine Prost le montrent : les réformes doivent être construites aussi avec les acteurs de terrain pour qu’elles soient acceptables et effectives. 

Actuellement, l’éducation est le théâtre d’une politique conservatrice et libérale dans laquelle l’école serait en faillite, où il faudrait trier les élèves et où un système privé ferait mieux que le public. Si l’école publique doit être une priorité, c’est au contraire pour lui donner les moyens d’emmener tous les élèves sur la voie de l'émancipation intellectuelle par le plaisir d'apprendre, qui peut prendre mille chemins. C’est un investissement pour garantir une société juste et démocratique, et non une dépense.