Présentation du dossier: la réussite, une question de devoirs ?
Mis à jour le 08.09.17
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Bien que la mesure des « devoirs faits » concerne le secondaire, elle n’est pas sans résonance dans le primaire où la question fait toujours débat entre une pratique théoriquement interdite et des pratiques persistantes. Le travail personnel hors l’école est-il souhaitable et pour quoi faire ?
L’annonce par le nouveau ministre de l’Éducation nationale de la mise en oeuvre en cette rentrée du dispositif sur "les devoirs faits", en vertu duquel chaque élève les aura réalisés d’abord au collège et n’aura plus à les faire à l’extérieur, vise d’abord l’enseignement secondaire. Elle a cependant fait ressurgir un débat aussi vieux que celui de l’école de Jules Ferry, qui touche aussi l’élémentaire, sur la pertinence du travail personnel demandé aux élèves après l’école.
Les enseignants peuvent-ils ou pas donner des devoirs ? Si oui lesquels ? Les devoirs sont-ils vraiment efficaces pour la réussite des élèves ? Sont-ils de nature à renforcer le poids des inégalités sociales à l’école ? Existe-t-il des « bonnes pratiques » en la matière ? La réponse à toutes ces questions ne va pas de soi, d’autant que les prescriptions font débat.
La circulaire de 1956 les interdit. Mais selon un rapport de l’inspection générale datant de 2008, face à la persistance de cette pratique, « il est urgent de préciser la nature exacte de ce qui est interdit et de ce qui ne l’est pas hors du temps de la classe » (lire ici). En fait, comme le rappelle la sociologue de l’éducation Séverine Kakpo, « ce sont les travaux écrits qui sont interdits et pas les tâches orales. Mais cette différence fait sans doute peu sens pour les enseignants car un travail oral, comme une lecture préparatoire ou encore l’apprentissage d’une leçon, peut requérir autant de temps qu’un travail écrit et présenter un grand degré de complexité pour les élèves» (lire ici).
Les apprentissages, c’est dans la classe #
Il y a sans doute plusieurs raisons à ce que la plupart des enseignants donnent des devoirs. La pression des parents d’élèves d’une part. Qu’ils soient proches ou éloignés des codes scolaires, ils sont nombreux à en demander, pour des motivations différentes mais convergentes (lire ci-dessous). Mais les raisons peuvent aussi être pédagogiques. « Si les devoirs continuent à être prescrits, c’est sans doute ce qu’ils ont appris », enchérit Claude, PE dans les Pyrénées-Atlantiques. Les deux enseignants ont intégré le travail personnel sur le temps dédié aux apprentissages. « Ça se fait en classe. Avant une nouvelle séance, on revient systématiquement sur ce qu’on a déjà appris », martèle Claude (lire ici).
Une source supplémentaire d’inégalités #
Le sociologue de l’éducation Étienne Douat (lire ici) approuverait certainement leur démarche, convaincu qu’il est que les devoirs sont source de creusement des inégalités. « Cette dimension est souvent ignorée par l’institution et l’enfant est seul face au décryptage de ce qui lui est demandé. Le système des devoirs implique un certain style de vie, un emploi du temps et du corps selon une logique planifiée qui est sous-représentée ou absente dans certaines familles, en particulier les plus précaires », dit-il.
Comment éviter un tel travers ? Peut-être déjà en donnant « des devoirs renvoyant à des enjeux d’apprentissage que les enfants se sont suffisamment appropriés en classe pour pouvoir travailler seuls », suggère Séverine Kakpo. Reste d’autres questions non résolues, notamment celle de la coordination des enseignants avec les autres acteurs des activités pédagogiques car les devoirs parce que "tout processus d’apprentissage passe par une phase de travail personnel qui permet appropriation et consolidation des notions étudiées", rajoute Séverine Kakpo.
Dès lors, reste à savoir comment s’y prendre. Des initiatives de terrain dessinent des perspectives. À Forbach en Moselle, l’équipe de l’école du quartier Marienau (lire ici), a élaboré une charte des devoirs, en réponse à la demande des parents. Elle l’a intégrée dans le projet d’école. « Les parents ont souvent une représentation fausse de l’école. Il s’agissait avant tout de déconstruire la corrélation réussite-devoirs et de dédramatiser en expliquant que les apprentissages, c’est à l’école et que les devoirs, c’est avant tout un lien avec la famille », explique Flavia Cammarata, la directrice.
Les enseignants ont construit des outils codifiant à la fois la pratique du travail personnel et les attendus, en transparence avec les parents. D’autres ont opté pour des méthodes plus radicales, s’interdisant de donner des devoirs. « J’ai d’abord enseigné en éducation prioritaire où il ne servait à rien de donner des devoirs puisque la plupart ne les faisait pas. Il fallait donc que je mette des choses en place au sein de la classe pour rompre avec cette inégalité entre ceux qui peuvent être aidés et les autres », explique Nathalie, enseignante en CM2 à Nice. « Les devoirs peuvent aussi être source de conflits entre parents et enfants et l’école n’a pas à favoriser ça. Ce qui m’importe, c’est que les parents consacrent un temps d’échange quotidien avec leurs enfants sur ce qu’ils ont fait en classe, sur ne se font plus forcément à la maison, mais dans des structures périscolaires ou de soutien. De la notion de « devoirs à la maison », l’école est passée parfois sans le savoir à celle de « travail hors la classe », qui implique cette fois d’autres acteurs pédagogiques. Cette réflexion sur les pratiques relève aussi d’une formation professionnelle actuellement plutôt pauvre sur le sujet. Comme s’il y avait un prérequis pour les enseignants qui allait de soi, ce qui n’est pas le cas.
Indispensable formation
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Ils n’existent pas mais tout le monde, ou presque, en donne et il y a donc bien un enjeu pédagogique autour des devoirs à la maison. Chaque situation d’apprentissage convoque des temps d’appropriation et d’exercices permettant d’intégrer ce qui a été enseigné. Et mieux maîtriser la boucle de ces apprentissages entre la classe et la maison ne s’improvise pas. La formation initiale des enseignantes et des enseignants des écoles a, pour le SNUipp-FSU, un rôle déterminant à jouer dans cette élaboration. Quel type de travail donner à faire à la maison et dans quel but ? Quels prérequis installer pour donner du sens et ainsi permettre un véritable travail autonome ? Mais aussi quels liens construire avec les familles sur ce sujet complexe ? Autant de contenus de formation, éclairés par les travaux de la recherche, aujourd’hui largement absents des cursus proposés dans les Espé qui devraient aussi irriguer la formation continue proposée aux équipes d’écoles dans un souci d’harmonisation des pratiques. Au risque de voir perdurer des malentendus qui creusent toujours aujourd’hui les inégalités sociales de destin scolaire.
Le PDF du dossier est consultable ici.
L'ensemble du dossier #
Présentation du dossier, la réussite, une question de devoirs?
Travail hors l'école, quelle place dans le système scolaire?
Etienne Douat, sociologue: "On est au bout de la logique d'externalisation."
A Marienau (57), on append à les faire en classe.
Ces instits qui n'en donnent pas.
Séverine Kakpo, maître de conférences en sciences de l'éducation: "Tout processus d'apprentissage passe par une phase de travail personnel."