Enquête TIMSS 2020 : analyse de Joël Briand

Mis à jour le 10.12.20

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Si le ministre se saisit de ces résultats de l'enquête TIMSS pour conforter sa politique éducative, Joël Briand en fait une toute autre analyse.

Joël Briand, spécialiste des mathématiques, analyse les résultats de l'enquête TIMSS

Briand UDA Joël Briand est maître de conférences honoraire en mathématiques

Une fois encore une enquête (TIMSS) internationale confirme au niveau de l’école ce que l’enquête CEDRE mettait en évidence récemment en France. Chacun trouvera de bonnes raisons pour expliquer le niveau actuel des élèves français en mathématiques. Pour ma part, je reviendrai sur l’écosystème de l’éducation nationale qui génère de tels résultats. (voir  A propos de l'enquête CEDRE : comment expliquer la chute de niveau en maths à l'école ?; et  TIMSS : Que faudrait-il faire ? Que faudrait-il surtout éviter ?)

Les programmes de mathématiques de 2015 de l’école primaire avaient reçu un bon accueil. Ils étaient le fruit d’une large concertation entre le ministère, les corps d’inspection, les formateurs, les chercheurs en didactique des mathématiques. Ils permettaient aux formateurs et aux nouveaux professeurs d’envisager un enseignement des mathématiques adapté au XXI° siècle. N’oublions pas de rappeler ce que déclarait à l’époque Cédric Villani sur Canal plus à propos de ces programmes : « c’est la première fois qu’il y a eu cette volonté d’associer de près l’écosystème mathématique français c'est-à-dire le milieu de la recherche et le milieu de la recherche pédagogique. On dit cela souvent, qu’il y a un paradoxe français sur lequel on a d’excellents résultats en recherche mathématique… et qu’il y a des résultats moyens à PISA. Il y a un autre paradoxe français dont on parle moins, c’est que l’on a des résultats spectaculaires au niveau mondial en recherche pédagogique en mathématiques mais cette recherche mathématique jusqu’à présent ne communiquait pas avec l’écosystème de l’éducation nationale ». 

On aurait pu penser que le temps était venu de calmer le jeu des changements de programmes, de mettre l’accent sur les formations, de prendre en compte les résultats aux enquêtes internationales et d’en faire des objets d’étude en formation. Mais il faut montrer que l’on gouverne : En 2018 les circulaires recentrent l’activité mathématique sur l’apprentissage des quatre opérations comme si le fait de se poser des questions sur l’enseignement des mathématiques était un obstacle à la construction des procédés opératoires. Et pour couronner le tout, le ministère en 2018 va jusqu’à préconiser une méthode, transplantée sans précautions (voir  Les quatre opérations au CP, « le » manuel de Singapour et la réussite à l’école  de la méthode dite de Singapour ) en mettant en avant une vieille lune stipulant que pour faire des mathématiques il faut « manipuler, verbaliser, abstraire ».

L’instabilité des programmes

Ces études ont été menées auprès d’élèves dont les professeurs avaient eu à subir d’incessantes modifications de programmes jusqu’en 2015 sur lesquelles je ne reviendrai pas .

Les programmes de mathématiques de 2015 de l’école primaire avaient reçu un bon accueil. Ils étaient le fruit d’une large concertation entre le ministère, les corps d’inspection, les formateurs, les chercheurs en didactique des mathématiques. Ils permettaient aux formateurs et aux nouveaux professeurs d’envisager un enseignement des mathématiques adapté au XXI° siècle. N’oublions pas de rappeler ce que déclarait à l’époque Cédric Villani sur Canal plus à propos de ces programmes : « c’est la première fois qu’il y a eu cette volonté d’associer de près l’écosystème mathématique français c'est-à-dire le milieu de la recherche et le milieu de la recherche pédagogique. On dit cela souvent, qu’il y a un paradoxe français sur lequel on a d’excellents résultats en recherche mathématique… et qu’il y a des résultats moyens à PISA. Il y a un autre paradoxe français dont on parle moins, c’est que l’on a des résultats spectaculaires au niveau mondial en recherche pédagogique en mathématiques mais cette recherche mathématique jusqu’à présent ne communiquait pas avec l’écosystème de l’éducation nationale ». On aurait pu penser que le temps était venu de calmer le jeu des changements de programmes, de mettre l’accent sur les formations, de prendre en compte les résultats aux enquêtes internationales et d’en faire des objets d’étude en formation. Mais il faut montrer que l’on gouverne : En 2018 les circulaires recentrent l’activité mathématique sur l’apprentissage des quatre opérations comme si le fait de se poser des questions sur l’enseignement des mathématiques était un obstacle à la construction des procédés opératoires. Et pour couronner le tout, le ministère en 2018 va jusqu’à préconiser une méthode, transplantée sans précautions de la méthode dite de Singapour en mettant en avant une vieille lune stipulant que pour faire des mathématiques il faut « manipuler, verbaliser, abstraire ».

Une perte de la culture de la concertation, une littérature officielle

Alors pourquoi vouloir ignorer « des résultats spectaculaires au niveau mondial en recherche pédagogique en mathématiques » en faisant contrôler l’enseignement des mathématiques (entre autres) par le « Conseil scientifique de l’éducation nationale » dans lequel ne figure aucun chercheur en didactique des mathématiques ?

Le Ministère n’a plus la culture d’une véritable concertation. Sa fébrilité se traduit par des injonctions, des circulaires entrant jusque dans les détails de tâches d’enseignement des mathématiques, tâches qui devraient être dévolues aux centres de formation des professeurs en liaison avec la recherche. La dernière production ministérielle : « Pour enseigner les nombres, le calcul et la résolution de problèmes au CP » n’est signée par aucun auteur. Dommage. Cet ouvrage est-il un document d’accompagnement ? un manuel officiel ? un texte officiel ? Il est validé par le Conseil scientifique de l’éducation nationale... Ce sera un outil de formation officiel qui, au fil de certaines pages fait encore la promotion de la méthode de Singapour tout en la mêlant à d’autres travaux. Ainsi au fil des pages on constate des approches parfois contradictoires. Un exemple parmi d’autres : page 83 les auteurs se servent d’un travail que notre équipe proposait il y a fort longtemps (« la situation de la boîte ») et que je décrivais une fois de plus dans la revue de l’APMEP en 2018 pour illustrer les limites de la « manipulation passive » et pour dénoncer l’approche de la méthode de Singapour. Or page 102 on voit encore cette méthode magnifiée par le tryptique « manipuler, verbaliser, abstraire » dans le résumé du chapitre... Difficile de s’y retrouver.

D’ailleurs, le titre de cette production est significatif d’une certaine conception transmissive de l’enseignement des mathématiques à l’école. On aurait aimé lire « Pour faire construire les nombres, pour faire accéder au calcul » plutôt que « Pour enseigner les nombres, le calcul et la résolution de problèmes au CP » et on aurait aimé que le problème soit enfin étudié comme un moyen de faire des mathématiques et non comme objet mathématique. Par exemple, page 101 une production d’élève montre sa production écrite lors de la résolution d’un problème simple : « je cherche le tout ». On ne peut pas dire que cette phrase soit spontanée chez un enfant de CP. Elle est l’indice de l’enseignement des typologies de problèmes de G.Vergnaud qui n’en demandait pas tant. Ces glissements méta-didactiques ont été étudiés il y a très longtemps en didactique des mathématiques.

Il aurait été aisé de s’appuyer sur les programmes 2015 du cours préparatoire et de proposer en une progression raisonnable, en accord avec ces programmes, quelques situations « clés » ponctuant l’année du cours préparatoire à partir desquelles le professeur aurait pu peaufiner sa propre progression en fonction des élèves de sa classe.

Comment s’étonner alors que les professeurs des écoles aux formations amoindries, privés d’encouragement depuis plusieurs années à faire fonctionner des situations de découverte en mathématiques, entendant souvent que celles-ci sont « compliquées à mettre en œuvre », qu’elles sont « chronophages », se rabattent vers des enseignements plus transmissifs, et donc comment s’étonner que l’étude CEDRE conclue que « par ailleurs, lorsque les élèves sont interrogés sur leur rapport aux mathématiques, on constate une dégradation de l’attractivité des mathématiques. »

Les conséquences auprès des éditeurs :

Il est symptomatique de voir depuis une dizaine d’années les éditeurs demander aux auteurs des ouvrages de mathématiques « moins ambitieux », des fichiers, afin que les enseignants puissent s’appuyer sur des manuels qui affichent rapidement les savoirs à acquérir sans passer par la case « construction de situations d’apprentissage ». Les injonctions ministérielles l’ont emporté sur les recherches. Conséquence : dans ce cadre, les enfants de milieux favorisés disposant dans leur milieu familial de ressources dont ne disposent pas les enfants de milieux défavorisés « encaissent » mieux les effets d’un enseignement par exposé des savoirs grâce au rôle de répétiteurs que peuvent jouer les parents. Et le constat du creusement des écarts en France persiste…

Des idées tenaces

En effet, contrairement à ce qui est véhiculé, les situations d’apprentissage dans lesquelles l’élève est amené à construire des savoirs mathématiques ne sont pas destinées aux élèves de milieux favorisés. Cet argument souvent avancé permet de s’affranchir d’exigences pour obtenir une solide formation des professeurs des écoles. Il est effectivement moins spontané des construire des situations de classe permettant l’accès à des savoirs nouveaux plutôt que de les exposer. La difficulté n’est pas pour l’élève mais pour l’enseignant, et donc pour la formation des professeurs. Comment se fait-il qu’avec des formations solides qui avaient pu être mises en œuvre il y a quelques années*  les professeurs des écoles avaient de meilleurs résultats avec cette démarche ? Ceux -là auraient eu certainement de bons résultats à TIMSS. Mais pour cela il faut payer le prix de la formation, faire apprendre le métier, ne pas considérer qu’un professeur peut être remplacé du jour au lendemain par un contractuel** .

La formation initiale des professeurs, après des débuts difficiles, commençait à trouver sa vitesse de croisière au sein des IUFM en liant formation personnelle en mathématiques et formation à l’enseignement des mathématiques. Les enseignants chercheurs se sentaient encouragés à conduire leurs travaux dans cette discipline que constitue la didactique des mathématiques. Cette liaison a été mise à mal depuis. Les seules sources audibles actuellement en matière de recherche sont celles des neurosciences.

Du côté de la formation continue, faute de créer massivement des postes de Conseillers Pédagogiques de Circonscription en mathématiques formés pour cette nouvelle mission, on a sollicité des enseignants (Référent Mathématique de Circonscription) pour assurer les formations, très souvent sur une partie de leur temps de travail, ce qui les empêche de s’y consacrer pleinement*** .

Pour conclure

Autant il me paraît utile de regarder de près les conclusions de ces études, autant il convient de faire un état des lieux de l’écosystème éducation nationale. Après cela, dans des structures apaisées de formation il sera possible de regarder de près tel ou tel item de telle ou telle étude nationale ou internationale. Mais ne soyons pas dupes, toute étude statistique est vite l’otage des lieux de pouvoir. Imaginer que ces études permettraient de revoir la formation des professeurs, d’encourager une réflexion sur la construction des mathématiques à l’école primaire serait naïf. J’écrivais récemment à propos de CEDRE : « On voit déjà le ministre se saisir de ces résultats au journal de 20 heures ou/et sur les réseaux sociaux pour réaffirmer la justesse de sa politique de retour aux savoirs fondamentaux enseignés de façon « raisonnable » et de l’utilité de l’enseignement à distance. La boucle est bouclée. ». Je ne croyais pas si bien dire vu sa réaction aujourd’hui aux résultats de TIMSS. Le ministre a tout prévu .

*Je citerai entre autres, à titre personnel, le travail conduit pendant 25 ans à l’école pour l’observation Jules Michelet à Talence dans une ZEP, observatoire conçu par G.Brousseau, mais il existe d’autres lieux de recherche-observation en France.

**Il ne s’agit pas de stigmatiser ces personnels bien sûr, qui font de leur mieux dans un contexte difficile mais de dénoncer cette pratique récente de nomination de personnels précaires et pourtant demandeurs de formation.

***Je reprends ici une phrase de l’article de Cécile Allard, Pascale Masselot, Marie-Lise Peltier-Barbier, Éric Roditi et Frédérick Tempier 2020 : TIMSS : Que faudrait-il faire ? Que faudrait-il surtout éviter ? paru dans le café pédagogique du 08 décembre 2020.