Des comportements qui bousculent

Mis à jour le 28.12.23

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La maternelle, premier lieu de socialisation et de scolarisation de l'enfant, peut être aussi celui où se révèlent des "troubles du comportement" ou des situations de handicap.

Rachel Gasparini est professeure des universités en sciences de l'éducation à l’université Lumière Lyon 2, Laboratoire éducation culture et politique (ECP). Ses thématiques de recherche sont la socialisation, l’autorité, la discipline, la professionnalité enseignante, le travail éducatif. Sa dernière recherche porte sur « Les professionnels face aux élèves de maternelle au comportement troublé et troublant ».

FsC 494 UDA 2023 Rachel Gasparini

“Plus facile en équipe”

Quel est l'objet de votre recherche ?  

J’ai longtemps travaillé sur les questions d’autorité et de discipline. Je me suis rendue compte qu’actuellement les difficultés des enseignants étaient centrées sur quelques élèves avec des « troubles du comportement » plus que sur des problèmes d’autorité en général dans le groupe classe. Un constat valable pour l’enseignant expérimenté comme pour l’enseignant débutant. À la maternelle, compte tenu du jeune âge des enfants, peu de diagnostics sont posés. J’ai voulu croiser les différents points de vue de professionnels – enseignants/enseignantes, directeurs / directrices, AESH, quelques Atsem, membres du Rased, ERSH (Enseignant référent à la scolarisation des élèves en situation de handicap), professionnels du CMP (Centre médico-psychologique) , inspecteurs/inspectrices, conseillers/conseillères pédagogiques - lorsqu’un enfant a un trouble du comportement. J’entends par là la manifestation de violences verbales et physiques importantes envers lui-même et/ou les autres personnes présentes dans la classe au point que l’enseignant cherche des aides auprès de professionnels de l’école ou hors école. Des entretiens ont été menés avec 76 personnes dans trois départements.

Quelles sont les principales difficultés pour les PE ? 

Plus les professionnels sont loin de la classe, plus ils ont tendance à minimiser les problèmes que rencontrent les premières lignes, c’est-à-dire celles et ceux présents dans la classe, enseignants, AESH et Atsem. Les IEN et les CPC se contentent souvent de réaffirmer le principe d'inclusion scolaire. Même s’ils échangent avec les CPC ou avec d’autres professionnels, notamment lors des équipes de suivi de scolarisation, cela reste insuffisant. Les enseignants regrettent de ne pas avoir rencontrés suffisamment de professionnels pour parler de leurs difficultés. À l’école, ce n’est pas comme dans d’autres services publics, l’hôpital par exemple, où les personnels ont des temps et des lieux pour discuter, analyser leur pratique. Les échanges, qui ont lieu en conseils des maîtres ou lors de réunions informelles, peuvent être parfois anxiogènes si les discussions se centrent sur le manque de moyens et ne sont pas dédiés à l’échange de pratiques. À cela s'ajoutent des temps longs pour une prise en charge des élèves que cela soit avec le psychologue scolaire, le Rased ou au CMP.

“Les enseignants ont besoin de temps et de lieux pour échanger et tenter de trouver des solutions”

Quelles sont les attentes des PE face à ces difficultés ?  Quelle est la place des AESH ?

Les difficultés sont plus faciles à gérer lorsqu’il existe un important travail d’équipe. Les enseignants ont besoin de temps et de lieux pour échanger et tenter de trouver des solutions. Ils ont besoin aussi de collaborer avec d’autres professionnels que sont le Rased ou le CMP mais sans être jugés, sans que ces professionnels se posent en moralisateurs ou en critiques. Ce faisant, les enseignants se sentent reconnus dans leurs compétences professionnelles, notamment pédagogiques, sont de véritables partenaires pour construire des réponses adaptées à la situation. Les AESH, elles, sont peu présentes en maternelle, soit parce que beaucoup de parents ne sont pas prêts à entendre que leur enfant est différent, soit par manque d’AESH. Pour ces personnels aussi, c’est la gestion des élèves avec de gros troubles du comportement qui s’avère la plus difficile. Ce sont les situations qu’elles redoutent le plus et qui demandent le plus d’adaptation individuelle.

Des AESH, est-ce suffisant pour résoudre les difficultés rencontrées ? 

Non, il est demandé beaucoup à l’école et la présence d’AESH ne suffit pas. La profession enseignante demande du temps, des interlocuteurs et des lieux pour échanger et construire ensemble. Face aux difficultés, les enseignants sont isolés, épuisés, stressés et ont un fort sentiment de culpabilité. En plein désarroi, certains peuvent en venir à refuser le principe de l'inclusion alors qu’ils n’ont rien contre l’enfant mais la situation est si difficile qu’elle en devient insupportable. Il y a aussi des cas où le travail à plusieurs est vraiment efficace, les enseignants se sentent étayés, par un partage des difficultés avec des collègues de l’école et/ou par un travail en confiance avec d’autres professionnels.