Polyvalence des PE et forte dimension temporelle

Mis à jour le 28.12.23

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La spécificité de l'exercice du métier de PE repose en partie sur sa polyvalence et d'une dimension temporelle forte.

Aline Blanchouin est maîtresse de conférences à l’Inspe de Rennes, Elle a d’abord enseigné l’EPS avant de soutenir une thèse sur la polyvalence chez les PE en 2015. Elle travaille depuis 20 ans en collaboration avec des enseignant•es au sein de recherche/formation.

FsC 494 UDA Aline Blanchouin©Bilal-Naja

“Jouer sur le temps long des cycles est essentiel”

En quoi consiste la polyvalence des PE ?

Une première définition de l’IGEN -Inspection générale de l’Éducation nationale- en 1997 met l’accent sur le maître unique et la maîtrise simultanée des disciplines, leur connexion et les compétences transversales qu’elles mettent en place. Des travaux identifient toutefois un écart entre la réalité de l’exercice du métier et cette représentation. L'interdisciplinarité, le tissage de ponts sont souvent jugés complexes ou réalisés dans le cadre de projets. D’autres recherches ont également mis en exergue une poly-fonctionnalité avec une diversification des types de tâches et des interlocuteurs qui pèse sur l’activité d’enseignement. La question de la poly-intervention, sur plusieurs niveaux d’enseignement, se pose aussi, selon l’affectation, avec une multiplication des postes fractionnés. Mais ce qui caractérise particulièrement les PE est la spécificité d’enseigner à un groupe d’élèves, lors d’une année scolaire, l’ensemble du programme sur une temporalité continue ajustable.

En quoi cela peut-il participer des apprentissages ? 

Les élèves sont perçus dans des situations diverses. Les voir dans des activités de réussite, lors desquelles ils sont plus à l’aise, entraîne moins de stigmatisation. Cette vision globale permet une réassurance, une confiance dans la relation. Le corollaire est la possibilité de connaître plus finement leurs connaissances et donc de mieux ajuster les contenus. D’autant que cela peut se faire sur la journée, la période, l’année, voire le cycle. Cette notion temporelle est un réel atout. De même, cela permet de se saisir des opportunités de vie de la classe ou encore d’aborder une notion dans un autre contexte en jouant sur le motif d’agir de l’élève. Cela permet un engagement effectif dans le travail et dans l’apprendre. Que ce soient les savoirs disciplinaires, les concepts d’espace et de temps, les opérations cognitives clés telles que comparer, argumenter, le fait de jouer sur le temps long des cycles est essentiel.

“Il est fondamental de reconnaître la dimension créative du métier”

Le resserrement sur les fondamentaux ne met-il pas en danger cet atout ? 

On constate une prescription antinomique entre un centrage sur « lire, écrire, compter » et la construction du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Si on ne permet pas des expériences en éducation artistique, en sciences, sans les citer toutes, on ne va pas jusqu’au bout de la mission. En particulier pour les élèves les plus éloignés des savoirs scolaires. D’autant que les maths et le français sont les objets les plus emblématiques de la forme scolaire qui risquent donc de les éloigner davantage de l’école. Sans compter que certains élèves s’expriment plus facilement par le corps, les pratiques artistiques qu’en parlant, écrivant ou faisant des maths. Or, pour qu’un enfant s’engage, il lui faut une promesse de grandir, au sein d’un groupe dans lequel on vit et apprend ensemble. La tentation forte d’une bivalence, qui se centre sur des micro compétences en français et en maths, avec un risque d’externalisation renforcée des autres matières ne me semble pas la voie à suivre.

Est-il possible de former à cette polyvalence ? 

Si l’organisation actuelle des stages ne met pas en situation de penser la continuité de l’enseignement, il n’existe pas pour autant un modèle alternatif pré-construit. En revanche, on pourrait s’appuyer sur deux principes. D’une part, le maintien d’une culture d’équipe. Il est nécessaire de mettre en place des espaces communs coopératifs de discussion pour les enseignants afin qu’ils restent pilotes des idées et puissent s’appuyer sur le temps long des cycles. Le second enjeu est de pouvoir travailler sur des postures transférables, mobilisables selon les contextes d’enseignement. Telles que les capacités à observer la classe, interpréter, préparer, mettre en œuvre en variant les organisations, réguler… qui demandent une posture réflexive. L'accumulation de connaissances encyclopédiques en maths et français ne construit pas une professionnalité. De plus, il est fondamental de reconnaître la dimension créative du métier. Celle à l’œuvre lorsque le PE accepte de faire des choix en fonction de ses propres ressources et de la compréhension de son exercice quotidien au service de l’ « apprendre » des élèves.