Choc des savoirs : vers plus d’inégalités

Mis à jour le 15.12.23

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Les annonces du 5 décembre dernier constituent une des pièces majeures du puzzle d’une école encore plus inégalitaire qui aggrave le tri social . La FSU-SNUipp les décrypte, pour mieux les combattre.

En Marche… vers une généralisation des inégalités

Les attaques subies par l’école primaire ces dernières années ont exacerbé les inégalités de réussite scolaire en fonction de l’origine sociale tout comme la mise en place d’un lycée modulaire, les réformes de la voie professionnelle et parcoursup aggravent le tri social. Aujourd’hui, avec le torpillage implicite du collège unique, c’est l’ensemble du système éducatif qui s’organise de façon discriminante.

Nouvelle modification des programmes, de la maternelle au CE2 dès la prochaine rentrée, révision du socle commun, labellisation des manuels en maths et français en CP et CE1, développement des stages de remise à niveau conditionnant le passage en classe supérieure, comparaisons par les tests standardisés généralisés… autant de mesures pour le premier degré qui réduisent l’ambition scolaire et mettent à mal la professionnalité enseignante.

Pour justifier ses choix, le ministère s’affranchit des consensus issus de la recherche.
Non, les dernières politiques éducatives n’ont pas amélioré les résultats de l’école primaire : PIRLS comme PISA montrent au contraire un creusement des inégalités entre hors-REP et REP.

Non le redoublement ne permet globalement pas sur le long terme de lutter contre les difficultés d’apprentissage : il s’avère en général nocif pour la réussite scolaire des élèves et pour le développement de leur estime de soi.

Non les groupes de niveau ne permettent pas de réduire les inégalités scolaires. S’ils structurent l’organisation scolaire, ils les amplifient et s’ils sont utilisés de façon ponctuelle ils ont un effet plus faible que le travail en groupe hétérogène.
Non les manuels actuellement promus par le ministère, et qui risquent d’être imposés en lecture au CP et CE1, n’ont pas fait la preuve de leur efficacité : c’est le renforcement de l’expertise enseignante qui est le levier principal de réussite des élèves et ce quel que soit le manuel qu’elle ou il choisit.

Maniant le double discours, G. Attal écrit aux enseigant.es que “de réforme en réforme, l’autorité de [leur] expertise pédagogique a pu être progressivement affaiblie” tout en continuant dans la politique de mise au pas de leurs métiers. La labellisation des manuels et leur imposition en CP et CE1 sont un fait jamais vu dans l’histoire hors sous le ministère Guizot au 19ᵉ et sous gouvernement de Vichy qui avait établi une liste de livres “exclusivement autorisés”. Le poids renforcé donné aux évaluations nationales dessaisit les enseignant·es de leur expertise et vise à la mise en place de groupe de niveau sans le dire explicitement.

Des choix politiques contre les personnels et les classes populaires

Les élèves issu·es des classes populaires vont être de nouveau les victimes de ce train de réformes mettant en place une école du tri social. Les injonctions, toujours plus fortes, vont accroître la perte de sens du métier enseignant.

Attal l’assume, s’adressant d’abord aux « Français des classes moyennes [qui] financent par leur travail le fonctionnement de nos services publics » dont les enfants seraient,, « empêchés de s’envoler ». Il renonce explicitement à l’élévation générale du niveau et la démocratisation des savoirs comme de la réussite scolaire pour toutes et tous : « Le taux de réussite au brevet et sans doute au bac diminuera dans les années à venir. J’en ai conscience et je l’assume. », dit-il.

Ces choix sont à l’opposé du projet que porte la FSU-SNUipp, un projet émancipateur et démocratisant pour l’école. Un projet ambitieux qui nécessite des moyens et la volonté d’une école de la réussite pour toutes et tous, quelle que soit l’origine sociale.

Les principales annonces

Annonces ministérielles Ce qu’en pense la FSU-SNUipp
Des programmes articulés autour d’objectifs annuels, à la rentrée 2024 pour cycles 1 et 2 et 2025 pour le cycle 3. Les programmes de 2015 ont déjà été “ajustés” pour l’élémentaire en 2018, puis complétés à plusieurs reprises (EDD, sciences et technologie). Les programmes de maternelle ont été en partie réécrits en 2021. La FSU-SNUipp dénonce ces remises en cause incessantes, et sans aucun bilan, des programmes qui déstabilisent les équipes.

Et alors que le recentrage sur les «fondamentaux» montre son inefficacité, il y a fort à parier que le Ministre, qui fait fi de toute la recherche, poursuive dans cette voie tracée par ses prédécesseurs.
Par ailleurs, la mise en œuvre d'objectifs annuels signe la fin des cycles qui permettent pourtant de donner le temps nécessaire à chaque élève pour effectuer ses apprentissages et aux enseignant.es de construire leurs enseignements
Enfin, cette réécriture des programmes en quelques mois mettra une fois de plus une pression sur les équipes qui en prendront connaissance dans l’été pour une application en septembre, empêchant une appropriation réfléchie et sereine..
Les programmes de mathématiques aborderont plus tôt les fractions et les nombres décimaux en favorisant une approche concrète et imagée (« méthode de Singapour ») à la rentrée 2024. La méthode de Singapour a été mise en œuvre sur 15 ans avec des allers/retours avec le terrain ainsi qu’une solide formation des enseignants. Ce modèle n’est pas transférable d’un claquement de doigts. De plus, cette imposition tourne le dos aux travaux menés par ailleurs en didactique des mathématiques.
L’idée de donner des outils aux enseignant·es, sans les associer à leur élaboration, les réduit à de simples exécutant·es : c’est exactement comme si l’ on demandait aux élèves d’appliquer des techniques mais pas de réfléchir...
Quant aux conditions d’enseignement, pourtant essentielles, pas l’ombre d’une solution à propos de l’obstacle que représentent les effectifs chargés dans les classes.
Des programmes de langues plus précis pour un enrichissement linguistique, historique et culturel à la rentrée. A ce jour, à part une application et une formation en ligne, rien n’est prévu pour permettre aux enseignant·es de mener cette tâche à bien.
Un socle commun réorganisé autour de compétences disciplinaires, de compétences psychosociales et de repères de culture générale à la rentrée 2025. Pour la FSU-SNUipp, c’est l’abandon du socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui est engagé pour être remplacé par des compétences de base pour les élèves des milieux populaires quand les autres auront accès aux connaissances et compétences de haut niveau.
Des manuels labellisés, via un organisme, seront obligatoires en mathématiques et en français dans le 1er degré à partir de la rentrée 2024. Le ministre associe les manuels dans les classes à plus de réussite. La recherche de 2016, « Lire/écrire au CP », avait pourtant montré que le choix du manuel avait moins d’importance dans les apprentissages des élèves que les savoir-faire des PE. Qui doivent pouvoir choisir librement leurs supports d’enseignements.
Alors qu’il disait qu’ “Il n’y a que le professeur qui sache ce dont ont besoin ses élèves” l’imposition de manuels est une vraie mise sous tutelle des pratiques des enseignantes et enseignants.
Financer l’achat des manuels en mathématiques et lecture au CP et au CE1 afin que tous les élèves et leur professeur en soient dotés. Si l’objectif de fournir des manuels est a priori louable car allant dans le sens de plus de gratuité, les budgets pédagogiques doivent rester aux mains des enseingnantes et enseignants. Le Ministère pourrait les augmenter, sans augmenter son contrôle.
À l’école élémentaire, sortir d’une doctrine de passage quasi systématique en classe supérieure et promouvoir les dispositifs de remédiation (stages de réussite, accompagnement personnalisé, tutorat) avant redoublement (Rentrée 2024). La FSU-SNUipp rappelle que la multiplication des prises en charge individualisées et hors la classe développée depuis 20 ans n’a fait preuve d’aucune amélioration pour la réussite des élèves les plus en difficulté. Bien au contraire, cette multiplication s’est accompagnée d’un renforcement des inégalités. A l’opposé de ces annonces c’est d’une réelle prise en charge de la difficulté scolaire dont les élélèves ont bien. Cela nécessite de créer des moyens supplémentaires en RASED, en PDMQDC, et de d’augmenter l’expertise enseignante par une formation initiale et continue de qualité.
Rendre le dernier mot aux professeurs pour la prescription de dispositifs de remédiation et le redoublement des élèves au début 2024. Les résultats de nombre de recherches montrent que le redoublement est un facteur de décrochage scolaire. D'ailleurs l’observation de PISA jusqu’en 2018 montre que le redoublement amplifie les inégalités sociales. Et le rapport 2023, que le Ministre devrait lire plus attentivement, recommande de faire moins redoubler les élèves.
Dès la rentrée 2024 et à chaque rentrée scolaire (en novembre, après les évaluations), tous les professeurs se verront adresser individuellement l’ensemble des informations permettant de situer les résultats de leurs élèves au niveau de l'établissement et de l’académie pour leur permettre de les situer. Le poids des évaluations augmente avec la création du Conseil Académique des savoirs fondamentaux ayant pour missions « le pilotage de la priorité donnée aux fondamentaux » « se fondant notamment sur l’analyse des résultats [des élèves] aux évaluations nationales ». Des alertes sur un pilotage intrusif se multiplient dans les départements. Ces évaluations nationales ne concernant qu’une part minime des programmes), les PE risquent de transformer leurs enseignements jusqu’à ne travailler que les compétences concernées : c’est la définition du “teach for test” que l’on retrouve aux États-Unis ou en Angleterre.
Les documents de la DEPP permettent déjà de faire le constat d’un impact des évaluations sur les pratiques, la fluence étant l’exemple le plus net. Une généralisation des évaluations nationales à chaque niveau de classe est probable, plaçant les élèves dans ce stress annuel et les enseignant.es dans un risque d’enseignement systématisé.